BONA SAWA

BONA SAWA

APPROCHE CRITIQUE DE LA LOGIQUE DE WANG SONNE SUR LA DEMOCRATISATION ET DES RIVALITES ETHNIQUES AU CAMEROUN...

DÉMOCRATISATION ET RIVALITÉS ETHNIQUES AU CAMEROUN

DEMOCRATIZATION AND ETHNIC RIVALRIES IN CAMEROON

Table of Contents

DE LA DYNAMIQUE DE LA QUALITE D'AUTOCHTONE

DANS LE PROCESSUS DE DEMOCRATISATION AU CAMEROUN :

LE CAS DE LA REGION DE DOUALA

Wang SONNÈ

Département d'Histoire, Université de Yaoundé I.

Chercheur au CIREPE

 

Il est des termes dont le sens varie selon l'usage. Citons autochtone et allogène. L'exercice est encore plus délicat lorsque le chercheur étudie l'évolution politique du Cameroun depuis les indépendances.

Au départ, l'on peut pourtant se tirer d'affaire avec un essai de définition (90). Un autochtone est un individu originaire du pays ou du territoire qu'il habite. Il partage alors le même sol que d'autres membres de sa communauté. Ainsi en est-il des populations indigènes ou aborigènes : ce sont les premiers occupants d'une région ou d'un territoire donné. L'autochtone peut avoir comme voisin un allogène. Celui-ci est un individu " né ailleurs ". Il s'est installé sur ce territoire et y a sans doute fait souche pour diverses raisons politiques, économiques ou culturelles. Il connaît ses origines et sa généalogie ; il sait, dans son for intérieur, que son terroir est " ailleurs ", quels que soient les efforts déployés dans sa zone de résidence.

L'on commence à saisir les difficultés d'une application concrète de ces termes sur le terrain. Car, une observation attentive des faits contemporains montre que les autochtones, généralement limités par l'érosion du temps, deviennent une minorité sur le plan démographique (91). L'impact sur les plans culturel, économique et politique peut avoir alors s'en ressentir. Les allogènes deviennent la majorité. Par conséquent, les premiers vivraient dans la peur d'être dominés ou absorbés par les seconds (92); d'où la peur panique d'un certain " danger " (93).

Le cas de Douala, ville portuaire, ouverte sur l'Océan Atlantique, capitale économique et premier centre d'attraction du Cameroun, nous semble représentatif des lignes qui précèdent. Les autochtones, les Duala, sont majoritaires au départ, jusqu'en 1945 (94). C'est l'un des grands groupes de l'ensemble dit Duala qui peuple les régions côtières, de Campo à Mamfé et de Ngambé à Santchou. Les Duala ont établi et joui des relations suivies entretenues avec divers visiteurs européens depuis le 18e siècle. Aussi pouvons-nous noter leur rôle d'intermédiaires obligés dans le commerce, la place de pivot tant enviée, occupée dans le fonctionnement et l'impact des toutes premières infrastructures modernes installées au Cameroun par les Européens. Aussi les Duala sont-ils considérés comme les " créateurs de modernité " au Cameroun (95). Il en ont tiré beaucoup de prestige et sont respectés comme tels par la plupart des Camerounais. Parmi ceux-ci il, y a les nombreux " allogènes " qu'ils ont accueillis généreusement sur leur sol. En plus, cette tradition d'ouverture, de générosité et d'accueil est inscrite dans la démarche du Duala depuis le début du 17e siècle. Elle a même valu un rayonnement national à quelques-uns des fils du terroir : le Prince Alexandre Ndoumba'a Douala Manga Bell et le Dr Marcel-Wilson, Bebey-Eyidi par exemple (96).

Alors se pose le problème. Le Duala était adulé hier et continue même de l'être aujourd'hui, malgré sa faiblesse démographique. Or, l'autochtonie, le respect, l'adulation et le rayonnement sont des valeurs à entretenir, au fil des temps. Il ne suffit pas de les proclamer, souvent sans effort, pour s'imposer dans la société. Car, comment se fait-il que, aujourd'hui, les Duala affichent leur qualité d'autochtones, afin de gagner des positions de pouvoir, alors que le Cameroun est en pleine démocratie pluraliste ? Nous tenterons d'y répondre en trois temps : le contexte dans lequel la dynamique de la qualité d'autochtone est formulée à Douala, l'impact des migrations des peuples duala et un essai d'évaluation du "statut " d'autochtone de ces peuples à l'épreuve du processus démocratique.

 

I- LE CONTEXTE : DE LA DYNAMIQUE DE LA FORMULATION DE LA QUALITE D'AUTOCHTONE A DOUALA AU COURS DES DEUX DERNIERES DECENNIES

Depuis les indépendances des deux Cameroun, français et britannique, en 1960 et 1961, la recherche et la conservation du pouvoir et la mainmise sur des positions politiques, économiques et sociales sont des données extrêmement importantes dans la société camerounaise. Aussi, de nombreux Camerounais se prévalent-ils de la qualité d'autochtone ou d'une certaine origine ethnique à différentes échelles du pouvoir, nationale ou locale. Cette tendance a été initiée par le colonisateur dès la fin du dix-neuvième siècle. Les études ethnographiques menées à l'époque en sont un témoignage éloquent. Citons Tessmann (1973), Nicol (1929), Dugast (1948 ; 1949 ; 1950 et 1955). Ardener (1956) et Alexandre (1958). L'objectif est de diviser et de mieux contrôler les différentes ethnies en vue de leur utilisation optimale. Du début de l'administration française en 1916 jusqu'aux années 1970, les actes d'état civil ou les pièces d'identité officielles des Camerounais portent des indications sur la " Race "(ethnie ou tribu d'origine).

Les régimes successifs, issus de la loi-cadre-Defferre et dirigés par Mbida, Ahidjo et Biya du 15 mai 1957 à nos jours, ont maintenu et raffermi ce legs. Des subterfuges ont été utilisés pour conforter la position de l'équipe ou du parti unique au pouvoir : équilibre régional, " protection des minorités " et opposition des ethnies entre elles. Sans doute convient-il de mûrir ces indicateurs en étudiant des événements politiques majeurs qui se sont déroulés à Douala depuis le début des années 1980. Le renouvellement des organes de base de l'Union Nationale Camerounaise (U.N.C.), parti unique au pouvoir a eu lieu sur l'ensemble du territoire au cours du deuxième semestre de l'année 1980 (97). Généralement, de telles opérations électorales - sinon toutes à l'époque du monolithisme - suscitent peu d'intérêt ; des militants déjà pressentis et soutenus par le pouvoir sont assurés, sans compétition, ni concurrence, de conduire des cellules, des comités de base, des sous-sections et des sections. Certes, à Douala, c'est tout comme ; mais, le Prince René Douala Manga Bell, Chef Supérieur du Canton Bell depuis 1966 (98), " ose " se présenter contre l'inamovible Tanko Hassan, Haoussa, originaire de Ngaoundéré. Celui-ci dirige le parti dans le Wouri depuis le début des années 1960 (99). Le scrutin se déroule dans les locaux de la permanence de l'U.N.C du Wouri à Bonanjo. Le mode d'élection retenu ici est l'alignement à vue des électeurs derrière chaque candidat. Presque tous les électeurs se placent derrière la personne de M. Tanko Hassan, qui est aussi un proche du Président Ahidjo ; seules deux personnes ont le courage d'approcher et de se faire remarquer aux côtés du Prince René Douala Manga Bell (100). Ce dernier devient furieux ; il déclare devant l'assistance que la direction des sections départementales du Mfoundi, de la Mifi, du Haut-Nkam, de la Bénoué ou de l'Adamaoua est assurée par un autochtone ; il se demande alors pourquoi cela n'est pas d'usage dans le Wouri. Il proteste contre le fait qu' au " étranger ", un " allogène "est Président de la Section Départementale de l'U.N.C du Wouri. Avant de quitter le siège du parti, il demande avec insistance " que charbonnier reste maître chez soi " (101).

Quelques deux ans après cet incident, M. Paul Biya accède au pouvoir le 6 novembre 1982 à la suite de la démission de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo. Des difficultés liées à la passation de pouvoir entre les deux hommes aboutissent au coup d'Etat manqué du 6 avril 1984 (102).

Le Président Tanko Hassan est aussitôt arrêté et détenu pendant près de sept ans (103). Il devient donc indisponible. Le premier Vice-Président de la section est Levis Koloko, homme d'affaires bamiléké, originaire de Babouantou, dans le département du Haut - Nkam. Il est installé dans la ville de Douala depuis les années 1940. Il y a fait souche (104). Il doit normalement assurer la présidence de la Section, à moins que de nouvelles élections ne soient organisées afin de pourvoir le poste vacant. L'on ne voit rien venir ; le statuquo perdure. Peut-être la hiérarchie du parti perçoit-elle une gêne à voir un membre de la communauté " allogène " bamiléké de Douala diriger le parti dans la " section pilote " de Douala (105). La situation est alors gelée jusqu'au prochain renouvellement organisé du 12 janvier au 10 mars 1986 (106). Un compromis est trouvé au cours de ces opérations : chaque groupe ethnique est associé à la gestion. La présidence de la Section du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (R.D.P.C) revient à un Duala (Duala), celle de l'Organisation des Femmes du R.D.P.C. à une Bamiléké, et celle de l'Organisation des Jeunes du R.D.P.C. à un Beti. Ainsi, Jean-Jacques Ekindi, Françoise Foning et Marius Onana sont élus et reconduits dans leurs fonctions respectives en 1990 (107). Un autre Duala, Pokossy Doumbé est élu Président de la section R.D.P.C. à la suite de la démission de Jean-Jacques Ekindi à la fin du mois de mai 1991 (108). Certes, la section du Wouri éclate en six sections distinctes en 1996 : des opérations électorales sont aussitôt organisées et les bureaux des organes de base installés. Mais, au début de l'année 1997, la hiérarchie nomme Thomas Tobbo Eyoum, un Duala, pour " coordonner " l'action du R.D.P.C. dans le Wouri, ce poste de " coordonnateur " n'est pas prévu dans les textes dudit parti et, les responsables de base, jaloux de leurs prérogatives en sont alors inquiets (109).

Cette différenciation autochtones-allogènes est aussi perceptible dans la nouvelle constitution promulguée le 18 janvier 1996. Déjà, le préambule proclame la " protection des minorités " ; le mode de gestion des futures collectivités territoriales décentralisées nous éclaire davantage :

Le conseil Régional est présidé par une personnalité autochtone de la Région élue en son sein pour la durée du mandat du Conseil (article 57, alinéa 3) (110)

La lecture suivie de ce texte fondamental a eu des effets relativement graves dans la vie quotidienne des populations. Des élections municipales se déroulent le 21 janvier 1996. Les résultats donnent le Social Democratic Front (S.D.F.), l'un des principaux partis d'opposition, gagnant dans les cinq mairies de la Zone de Douala. Seule la commune de Douala 1er est gérée par un Duala,  le Dr Nja Kwa ; les quatres autres reviennent à des magistrats municipaux d'origine Bamiléké, l'ethnie majoritaire dans la ville de Douala (111). Tous les chefs duala, originaires de la ville, protestent contre cette " mauvaise répartition ". Ils accusent le S.D.F. de malhonnêteté et organisent des manifestations publiques le 10 février 1996 à Douala (112). Ils disent avoir approché les hauts responsables de ce parti ; ceux-ci leur ont promis l'investiture de Douala à la tête de la majorité des communes. Ils comprennent mal que le " Chairman " (le Président National) du S.D.F. leur ait menti. Au cours de la marche allant de la Salle des Fêtes d'Akwa au carrefour de la Sonel Koumassi, l'on entend des slogans suivants, en langue duala (traduits en français) : " ça ne se fera pas chez nous "!; " Ces gens nous ont menti " ! " Ils vont alors nous jeter où " ? ; " Pas d'hégémonie " !

Ces paroles fortes, rarement prononcées par des " Côtiers ", inaugurent une vague de tribalisme anti-Bamiléké et un repli identitaire perceptible. Jean-Jacques Ekindi, Duala, originaire de Déido, coordonnateur du Mouvement Progressiste, réunit des élites Duala à Bekoko au cours du même mois de février 1996.

La réunion aboutit à la création d'une structure de réflexion, le kod'a Mboa Duala. Le but de ce groupe semble être la défense des minorités, tel que nous l'indique le premier numéro de son bulletin de liaison :

D'autres minorités entendent coopérer avec la communauté Duala, notamment dans la lutte pour la protection des minorités et la sauvegarde de leur identité et leur patrimoine. Notre groupe Kod'a Mboa Duala accueille favorablement ces sollicitations destinées à renforcer le groupe des minorités (...). Une résolution du groupe Duala demande à Jean-Jacques Ekindi d'approcher les autres leaders d'opinion Duala. Il s'agit notamment de Eboua Samuel, Yondo Marcel et Njoh Litumbe afin qu'ils s'unissent et créent un cadre approprié pour mieux défendre les Duala face aux dangers qui les menacent (113).

Jean-Jacques Ekindi ne nous éclaire pas sur ces "dangers". Nul n'est dupe. Le contexte est à la lutte contre la domination Bamiléké. Son projet de création d'un "grand parti Duala" n'aboutit pas non plus. Samuel Eboua est le premier à décliner respectueusement l'offre (114). Le Kod'a Mboa Duala en reste donc aux stades des réunions itinérantes à l'intérieur du Cameroun et de la production d'une littérature politique essentiellement identitaire et dirigée contre les Bamiléké. Le premier numéro du Bulletin de Liaison paraît en février. L'on ignore s'il y a eu d'autres livraisons (115). De nouveaux périodiques, créés par la suite, prennent le relais. Le premier numéro d'Elimbi sort le 29 mars 1996 ; le titre est d'abord d'abord bimensuel ; il devient hebdomadaire à compter du mois de novembre de la même année (116). Il se veut un "journal d'information régionale" ; il donne des nouvelles de l'ensemble de la région côtière ; il rend aussi compte des faits et des activités des élites originaires du Littoral. Mais, le trait le plus frappant est la production et la diffusion d'idées anti-Bamiléké. L'homme de l'Ouest est alors présenté comme porteur de tous les défauts : sale, voleur, malin, rusé, trompeur, désordonné, sectariste, hégémonique. Essayons de lire ces titres inscrits à la première page de quelques numéros.

Les autochtones se sentent menacés.

Y a-t-il un complot contre Douala ? (117)

Autochtones - Allogènes. Le contre exemple venu de l'Ouest. Bafoussam : cité interdite aux Allogènes ; (118)

Le " Complot Hégémonique " est-il une intervention des Duala ? (119)

... Pourquoi les Bamiléké n'aiment pas l'ordre ? (120).

L'hebdomadaire Elimbi est relayé en février 1997 par sa soeur, le mensuel Muendi (en français Le Message) ; les deux journaux appartiennent au même directeur de publication, l'homme d'affaires John Mandengué Epée, un Duala, originaire de Déido. L'objectif de ce groupe de presse, comme tous les défenseurs de l'identité duala, est le même : renforcer le repli identitaire en développant le tribalisme anti-Bamiléké.

Au total, le contexte évoqué dans les lignes qui précèdent montre que les Duala se fondent sur leur qualité d'autochtones pour revendiquer la primauté dans la conduite des affaires dans Douala. Sans doute faudrait-il établir l'historique de cette autochtonie dans la section suivante.

 

II - L'IMPACT DES MIGRATIONS DUALA

L'approche historique de la notion d'autochtonie n'est pas chose aisée, surtout pour ce qui est du Cameroun. L'instabilité est liée à la vie des populations. Un peuple arrive, profite d'un certain nombre de circonstances et de contingences, bouscule celui qui est déjà établi là et s'installe à demeure avant d'être rejoint par un tiers ; il est possible que le cycle des migrations reprenne et continue (121). Ainsi en est-il des Duala. Ils s'installent sur les bords du fleuve Wouri en 1706, selon des données recueillies par le Père Engelbert Mveng (122). Les Duala appartiennent au grand groupe bantou qui peuple l'Afrique Centrale. Ils seraient venus de chez les Bakota, au nord du Gabon actuel, dans le bassin Congo (123). Leur ancêtre Mbongo et ses descendants immédiats vivent dans cette région-là du début à la fin du 16e siècle (124). Commence alors une longue migration qui les mène jusqu'à leur emplacement actuel du bassin du Wouri. Nous ignorons encore les causes et toutes les étapes. Toutefois, nous savons que les Duala sont passés par la vallée de la Sanaga ; l'ancêtre commun Mbongo a eu des fils parmi lesquels Mbèdi ; celui-ci est le père d'Ewalè (qui règne de 1608 à 1630) (125) d'où le nom de Duala (Douala) ; il a pour voisins de proches parents. Après de nombreux démêlés, Ewalè et sa suite continuent leur pérégrination. Ils s'arrêtent au lieu dit Pitti sur les rives de la Dibamba, à la fin du 17e siècle. Au cours d'une partie de pêche, à l'embouchure de ce fleuve, quelques-uns d'entre eux remarquent une peau de banane portée par le courant. Et, en ayant déduit la présence d'hommes en direction de l'est, il remontent le fleuve qui les amène au pays des Bakoko et des Bassa, sur le site actuel de la ville de Douala. Les trois communautés, Duala, Bakoko et Bassa entretiennent des relations cordiales au départ. Leurs échanges commerciaux se développent, les seconds cédant des légumes aux nouveaux venus, en échange de poisson. Peu après, les différentes familles duala s'établissent sur les deux rives du fleuve du Wouri deux à trois kilomètres de longueur et repoussent les Bakoko et les Bassa dans l'arrière-pays.

L'enjeu de cet acte est de taille ; les traitants anglais viennent proposer des objets en échange des esclaves ; les Duala jouent le rôle d'intermédiaires dans ce trafic au cours des 18e et 19e siècles. Les missionnaires baptistes anglais, conduits par Alfred Saker, s'installent aussi dans cette localité de Cameroons et bénéficient de la bienveillance des souverains duala, King Bell et King Akwa (126). Les commerçants allemands, puis leurs compatriotes administrateurs, ne trouvent pas d'autres interlocuteurs valables que des Duala. Ainsi en est-il de la signature du traité germano-duala du 12 juillet 1884 ; les échanges commerciaux avec l'intérieur s'intensifient avec les mêmes intermédiaires. Les réalisations économiques et sociales initiées par les Anglais à la fin de la première moitié du 19e siècle sont consolidées : factoreries, travaux publics, dispensaires, écoles, églises. Les Duala en sont les premiers bénéficiaires et, parmi eux, l'on trouve des clercs, des auxiliaires d'administration, des évangélistes, et des personnels de santé. Ils sont les premiers Camerounais à occuper ces emplois. Quelques-uns d'entre eux sont même formés en Angleterre et en Allemagne dès la deuxième moitié du 19e siècle. Le Prince Alexandre Ndoumb'a Douala Manga Bell est allé en Allemagne à quatre ans pour faire des études ; son père Rudolf fait de même (127). L'impact de cette primauté dans la formation s'en est ressenti jusqu'à la fin de l'époque française (128). Le prestige des Duala est aussi perceptible dans l'évolution de leur ville. Kameroons-Town devient Douala (nom des autochtones) à la suite du décret du 1er janvier 1901.

Au total, l'on note que, à leur arrivée dans le site actuel, les Duala trouvent des populations Bakoko et Bassa. Et, avec leur capacité d'organisation, ils conquièrent cet espace et éloignent leurs devanciers dans l'arrière-pays. Ils se posent alors en interlocuteurs obligés des commerçants qui se succèdent dans la ville jusqu'en 1960. Les Duala comptent donc parmi les premiers occupants de la ville. Leurs premiers patriarches ont déployé de nombreux efforts pour préserver leur qualité d'autochtone. Et, les autres migrants camerounais de la ville, bien que devenus majoritaires, les ont toujours respectés comme tels. Car, l'autochtonie se conquiert, les Pygmées sont les populations les plus anciennes sinon parmi les plus anciennes du Cameroun ; mais, leur mode de vie et d'organisation n'a pas évolué. Les générations duala actuelles ont-elles su sauvegarder les acquis et la dynamique d'autochtonie légués par leurs ancêtres et leurs aînés ?

 

III - LE " STATUT " D'AUTOCHTONES A L'EPREUVE DU PROCESSUS DE DEMOCRATISATION A DOUALA.

Certes, il est indéniable que "charbonnier doit rester maître chez soi" (129). Mais, doit-il se contenter de la même production, en quantité et en qualité, en arguant du seul fait qu'il est "maître chez soi" ? Ne court-il pas le risque d'être dépassé par les temps ? L'autochtone doit-il considérer son "statut comme un brévet de compétence et ne plus fournir d'efforts ? Telles apparaissent les questions importantes à la lumière des deux premières parties de cette réflexion. Car, la démocratie implique une compétition permanente; les protagonistes ou les compétiteurs doivent être réellement engagés dans la défense de leurs intérêts. Or, nous observons que, depuis le début du processus de démocratisation en février 1990 (130), les Duala sont comme limités par un certain nombre de lacunes. Il y a d'abord la sous-scolarisation des jeunes. Nous ne disposons pas encore de chiffres. Mais, une observation attentive dans les quartiers montre que la plupart des jeunes ne vont pas à l'école ; ils ne sont pas scolarisés. Peut-être incriminera-t-on le manque de moyens financiers du fait de la récession économique. Nous objectons que ces jeunes et leurs parents s'intéressent peu à l'école et à ses retombées économiques, morales et sociales (131). Et, l'impact le plus négatif de cette lacune est le déficit de culture. Tant qu'on n'est pas alphabétisé et scolarisé, il n'est pas aisé de s'intéresser à la culture et à ses traditions , à moins qu'on ne soit initié. Et, actuellement la plupart des Duala s'inquiètent et ont peur de voir leur culture disparaître. Et qui plus est, ils font erreur d'accuser les " allogènes " en général et les Bamiléké en particulier d'en être responsables. Or, les valeurs culturelles ne reculent pas du fait des autres mais surtout de ce que les populations concernées elles-mêmes ne s'y intéressent plus. Sinon, comment expliquer que le journal Elimbi soit beaucoup plus vendu par des Bamiléké, donc ceux contre qui il est dirigé ? (132) Personne n'ignore l'engagement anti-bamiléké de ce périodique ; mais très peu de jeunes Duala s'intéressent à sa diffusion.

En plus, il y a comme une ambiguïté ou un manque d'engagement des chefs quant à la formulation nette et ferme de leurs choix politiques. Sans doute nous rappelons-nous combien le Prince René Douala Manga Bell s'est montré hostile à Paul Biya aux lendemains de l'élection présidentielle du 11 octobre 1992. Il est même allé jusqu'à prédire un accident d'avion au président " mal élu " (133). Mais, comment se fait-il que cette autorité traditionnelle se retrouve quatre ans après au premier rang d'une marche " tribaliste " qui fait le jeu du pouvoir (134) ? Il en est même de Mr. Jean-Jacques Ekindi. Il a d'abord marché contre le multipartisme le 28 mars 1990 (135) ; il a ensuite quitté le parti au pouvoir pour militer dans l'opposition ; il s'est alors présenté comme un adversaire résolu du Président Biya lors de l'élection présidentielle déjà citée ; il se retrouve enfin coordonnateur d'un mouvement pour la défense des Duala. Il est même allé jusqu'à tenir un meeting contre les villes- mortes en mai 1996 (136). C'est un revirement à 180°. Voilà pourquoi le Dr Nja Kwa, Président du S.D.F pour le Littoral déclare avec justesse.

" En tant que ressortissant Duala, je dis que les Camerounais mènent en ce moment une lutte pour la démocratie. Cette lutte requiert un engagement dans les partis politiques. Ceux qui se mettent à l'écart ne peuvent qu'être surpris après les compétitions électorales. Le problèmes des autochtones en général et des autochtones Duala en particulier est un problème d'engagement politique " (137).

 

CONCLUSION

Les Duala revendiquent la prise en compte de leur qualité d'autochtones depuis la promulgation de la constitution du 18 janvier 1996 et la publication des résultats des élections municipales intervenues trois jours plus tard. Certes, le régime de parti unique (1966-1991) a pu, tant bien que mal, trouver un compromis pour protéger les populations " autochtones " de Douala. Cela était dans l'intérêt du maintien au pouvoir de M. Ahidjo et Biya. Aujourd'hui, le processus démocratique implique beaucoup d'engagement. Certes, la civilisation est fille du nombre et les " allogènes " ou les " étrangers " Bamiléké sont majoritaires. Les Duala crient à " l'hégémonie " d'un peuple qu'ils ont généreusement accueilli dans leur terroir. Celui-ci les respecte toujours, en raison du capital de prestige accumulé grâce aux contacts fréquents avec les Européens. Mais, les autochtones n'ont jamais su préserver ce précieux capital au fur et à mesure de l'évolution politique, économique et sociale du Cameroun. La compétence est toujours provisoire, même si elle relève de l'autochtonie ou du charbonnier ou du forgeron " maître chez soi ". Il ne faut jamais relâcher son effort. Les Duala semblent pénalisés aujourd'hui, sans doute parce qu'ils sont demeurés contemplatifs " d'un passé glorieux ". Et, ils ont oublié cette formule de Renan: "Et nous autres civilisations savons que nous sommes mortelles".

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REFERENCES

1) Sources d'archives

.Archives de la Faculté de Médecine de Montpellier

.Archive de la Faculté de Médecine de Paris, 12, rue de l'Ecole de Médecine, Paris 6e

 

2) Ouvrages

.Alexandre, M. et Binet, J. 1958, Le groupe Fang-Beti, Paris, P.U.F.

.Aderner, Edwin, 1956, Coastal Bantu of the Cameroons, London, International African Institute.

.Bayart, J.F, 1979, L'Etat au Cameroun, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 298.

.Chaffard, Georges, Les carnets secrets de la décolonisation, tII, Paris, Calmann Lévy, 440 p.

.Dika Akwa, Nya Bonambela, 1982, Les problèmes de l'Anthropologie et de l'histoire africaines, Yaoundé, Editions Clé, 372 p.

.Dugast, I., 1948, "Essai sur le peuplement du Cameroun" Etudes Camerounaises, t.P ; n° 21-22

.Dugast, I., 1949, Inventaire ethnique du Sud-Cameroun, Paris, IRCAM, Séries I - Populations

.Dugast, I., 1955, Monographie de la tribu des Ndiki, Paris, Institut d'ethnologie

.Eyongetah, T. and Brain R., 1974, A history of the Cameroon, London, Longman Limited, 192 p.

.Mainet, Guy 1985, Douala. Croissance et servitudes, Paris, L'Hamarttan, 616 p.

.Mveng, Engelbert, 1963, Histoire du Cameroun, Paris, Présence Africaine, 533 p.

.Nicol, Y., 1929, La tribu des Bakoko, Paris.

 

3) Périodiques

- Officiel

.Journal Officiel de la République du Cameroun, n° spécial du 30/01/1996.

- Autres

.Cameroon-Tribune, quotidien Yaoundé, de 1974 à nos jours.

.Croissance. Le monde en développement, n° 362, juillet - août 1993.

.Elimbi, bimensuel puis hebdomadaire, Douala, du 29/03/1996 à nos jours.

.L'Effort Camerounais, hebdomadaire, Douala, Yaoundé, de 1955 à nos jours.

.L'Unité, hebdomadaire, Douala, de 1974 à 1992.

.La Nouvelle Expression, hebdomadaire, Douala de 1991 à nos jours.

.Marchés Tropicaux et Méditerranéens, hebdomadaire, Paris, de 1944 à nos jours.

.Muendi, mensuel, Douala, de février 1997 à nos jours.

.Politique Africaine, revue trimestrielle, Paris, n° 22, juin 1996.

..Le Quotidien, quotidien, Douala, septembre - novembre 1992.

 

4) Témoignages

.Dikoumè Mbongo : Rédacteur en chef d'Elimbi, entretiens depuis novembre 1996.

.Doula Manga Bell, entretiens, janvier 1987.

.Karimou Abodel, Africus, Journaliste, Douala, entretiens, 1980-1984.

.Kinguè, Edward, journalistes, Douala et Yaoundé, entretiens, depuis novembre 1996

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NOTES

90. Nous nous sommes surtout  inspiré de la leçon magistrale   de sémantique donnée par le professeur P. Ngijol  Ngijol, "Autochtones, allogènes et minorités au Cameroun", La Nouvelle Expression,  Douala, n° 001 du 23/.5/1996, "Minorités, autochtones, allogènes et démocratie",

o p.  2.

91. Pour se faire une idée nette  dans la plupart des pays  du monde, lire par exemple  Croissance. Le monde en développement, "1993, année des populations autochtones. Les nouveaux damnés de la terre", n° 362, juillet  - août  1993 pp. 18-43

92. Voir par exemple J. Mandengué  Epée, "Elimbi  ou le code  du voisinage" ; l'éditorialiste d'Elimbi donne le ton dès la première livraison : "Prouver  que l'intégration nationale ne se fera pas par absorption ni dissolution des tribus...", Douala, n° 001 du 29/03/1996, p. 3

93. Sur  ce terme, voir plus loin, infra.

94. G. Mainet, Douala.   Croissance et servitudes, Paris,  L'Harmattan, 1985, p. 67.

95. Ibidem, p. 55.

95. Sur   l'itinéraire des deux hommes, voir par exemple  G. Chaffard, Les carnets secrets  de la décolonisation, t. II, Paris, Calmann - Lévy, 1967, pp.   Ibidem, p. 55.

96. Sur   l'itinéraire des deux hommes, voir par exemple  G. Chaffard, Les carnets secrets  de la décolonisation, t. II, Paris, Calmann - Lévy, 1967, pp. 350,  355,  356,  372,  383,  -  387 ; 401, 425 et 426 ; voir aussi J.F  Bayart, L'Etat  au Cameroun, Paris, Presses de la Fondation Nationale   des Sciences   Politiques,  Paris, 1979, pp. 38, 71, - 99 ; lire enfin, Wang  Sonnè, "Marcel Bebey-Eyidi, 1914-1966.  L'itinéraire  d'un médecin  au service  des  autres", Le Messager, n°115   du 24/09/1987 ; 117  du  16/08 au  25/09/1987 et  118 du 26/09 au 09/10/1987.

97. L'on peut se faire une idée de ces questions en consultant   le quotidien Cameroon Tribune, Yaoundé, l'hebdomadaire La  Gazette,  Douala et le périodique à parution épisodique L'Unité, Yaoundé pour le compte de l'année 1980.

98. Celui-ci devient Chef Supérieur du Canton Bell à la suite de la mort de son oncle  le 21 septembre 1966 ; consulter  les références  proposées dans la note 7.

99. Sources :  entretiens avec le Prince René Douala  Manga  Bell, Douala, janvier 1987.

100. Ibidem.  Voir aussi A.  Karimou, journaliste, résident à Bonabéri, Douala, séries d'entretiens de 1980 à 1984.

101. J.  F Bayart, " La société  politique camerounaise (1982-1986)",  Politique africaine, n° 22, juin 1986, p. 24.

102. La Gazette, Douala, n° 503, du 17 mai 1984, Spécial  "Du pouvoir  à deux  têtes aux tentatives de déstabilisation, 1982 - 1984, 24 p..

103. Ibidem.

104. Le Messager, n° 380, du 1er/08/1994, pp. 9-11.

105. J.F  Bayart, "La société politique  camerounaise..."

106. Marchés Tropicaux et Méditerranéens, n° 2106 du 21 mars 1986,  p. 749.

107. Pour suivre  les événements  politiques importants ayant en cours en 1990, consulter notamment le quotidien Cameroon Tribune et l'hebdomadaire Le Messager.

108. Marchés Tropicaux et Méditerranéens, n°  2378 du 7/06/1991, p. 1450.

109. La Gazette, Douala, n° 503, du 17 mai 1984, Spécial  "Du pouvoir  à deux  têtes aux tentatives de déstabilisation, 1982 - 1984, 24 p..

109. Ibidem.

109. Le Messager, n° 380, du 1er/08/1994, pp. 9-11.

109. J.F  Bayart, "La société politique  camerounaise…"

109. Marchés Tropicaux et Méditerranéens, n° 2106 du 21 mars 1986,  p. 749.

109. Pour suivre  les événements  politiques importants ayant en cours en 1990, consulter notamment le quotidien Cameroon Tribune et l'hebdomadaire Le Messager.

109. Marchés Tropicaux et Méditerranéens, n°  2378 du 7/06/1991, p. 1450.

109. Pour comprendre  le  bien-fondé de cette nomination du "super – président" de la section  du Wouri, lire le compte  - rendu  d'installation in Cameroon Tribune, n° 6310-2599   du 17/03/1997, p. 3.

110. Journal Officiel de la République du Cameroun, n° Spécial du 30/01/1996, p.  26.

111. Pour les résultats des élections municipales  du 21  janvier 1996  au Cameroun, lire Cameroon  Tribune, pour le mois de janvier et février 1996 ; voir aussi  Le Messager

112. Sur la marche des chefs Duala, voir Cameroon Tribune, n°s  6036 - 2325 du 12/02/1996, p.6; 6037 - 2326 du 14/02/1996, pp. 2-4 ; lire aussi Le Messager, n° 477 du 06/02/1996, pp. 1 et  5.

113. Le Bulletin de Liaison, Kod'a Mboa Duala, 0001, BP  2500 Douala, Tél. 43..4.72, cité in "Le philosophe Sindjoun Pokam interpelle  Jean-Jacques Ekindi", La Nouvelle  Expression, n° 297 du 12 avril 1996, p. 2.

114. Lire Le Messager, n°  510 du 29/05/1996, "Projet de création d'un parti Duala.   Samuel Eboua lâche Ekindi", pp. 1 et 5.

115. Nous l'avons observé nous-même sur la  base des  enquêtes menées à Douala en novembre et en décembre 1996.

116. Consulter la collection d'Elimbi à son siège à  Bonantoné, Déido, Douala.

117. Elimbi, n° 001 du 29/03/1996, p. 1.

118. Ibid, n°002 du 10/04/1996, p.  1.

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07/08/2006
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