BONA SAWA

BONA SAWA

LA MALEDICTION AFRICAINE EST T-ELLE DANS LE NOM?

 

Dika Akwa

 

Afrique : et si la malédiction résidait dans le nom?

Par Wilfried Mwenye (1)

 

publié le 28/12/2005

 

 « Quand Ptah émergea de son inertie, le Noun au chaos primordial éprouva le commencement de l’ordre cosmique. Ptah pensa les choses avec le cœur et leur donna forme avec sa langue. La parole ordonnatrice fut le début de l’univers. Et le Noun était Ptah, et tous les êtres (animés ou inanimés) étaient dans le Ptah parce que lui les avait nommés ». (2) 

  

 La parole est au centre de l’action humaine. Elle accompagne l’Homme dans son aventure physique et métaphysique. Par elle, les supports matériels et abstraits retrouvent vitalité. Et c’est à juste titre que la pensée sociale africaine a été taxée de religieuse au colloque d’Abidjan en 1961 (3). Car pour l’homme religieux africain, l’univers se conçoit comme une totalité qui renferme un réseau d’énergies issues des divers règnes de la nature (végétal, animal, minéral et cosmique). C’est pourquoi, nommer en Afrique est un acte religieux. Le simple fait de nommer requiert dès lors beaucoup de précaution dans le choix du nom ; l’intervention étant de s’allier les faveurs du milieu d’accueil. Les anciens les savaient bien, eux qui avaient compris que la parole, le mot, le nom étaient aussi un écho cosmique, un vecteur de destin. Il apparaît alors que nommer, chez nous, c’est appeler à l’existence, c’est éloigner du porteur du nom les forces maléfiques, c’est se situer par rapport au temps, aux évènements, aux comportements (4). Bref nommer, c’est conférer au bénéficiaire du nom, un accessoire identitaire duquel émane un vaste champ sémantique et symbolique qui va l’intégrer dans son environnement socioculturel. L’interaction de l’Homme et son environnement fait qu’il le conçoit à son image. C’est la raison pour laquelle la désignation d’un lieu est sujette à autant de précautions, si bien que la toponymie pourrait être une relique qui transmet la vision religieuse, économique, politique d’un peuple à une époque donnée. C’est donc que les phénomènes toponymiques et ethnonymiques participent de la dynamique qui jalonne l’histoire humaine et ouvre les perspectives à la compréhension des aspirations humaines.

 

Est-il possible de parler d’Homme sans tenir compte de l’espace où il se meut ? L’aventure humaine est ponctuée de migrations qui se succèdent parfois à travers un même site où chaque couche appose la marque de son passage avec un nom. Ce nom peut changer selon qu’un groupe nouvellement établi se laisse absorber ou non par un autre. Quel que soient les cas de figures, il se peut que « ces noms arrivent à survivre aux changements successifs imposés par les strates d’occupation que témoignent les diverses couches linguistiques superposées ; ils renseignent sur le passé, les régions et les époques ». (5) La toponymie précoloniale révèle les vestiges d’une logique émanant du principe de dénomination d’un lieu, d’un individu. En effet, la dénomination en Afrique dévoile la volonté de se reconnaître en l’ancêtre éponyme ou aux hauts faits par lui accomplis. Le legs du nom, par la suite, peut s’étendre à l’ensemble de ses descendants voire au site occupé par ces derniers. Le nom d’une ethnie ou d’un lieu peut aussi dépendre des impératifs nés d’une nouvelle volonté, d’une nouvelle aspiration ; ainsi, le nom devient le signe d’un projet de devenir. Le cas de la Haute-Volta mutée en Burkina-Faso (Pays des hommes intègres) est un exemple. La lointaine antiquité égyptienne nous rapporte que le nom indigène de cette contrée était Kémit. Ce terme servait également à désigner ses habitants et signifiait pays des hommes noirs, les parfaits du pays noirs, ceux qui sont beaux, bien faits, presque les plus authentiques humains (F. Iniesta, 1995, p 78). Quand on voit à quel point les anciens égyptiens ont poussé leur civilisation, on comprend qu’un peuple doté du nom endogène, s’anime d’une dynamique anthropocentrique qui dope l’ego et fait le lit d’une idéologie conquérante de destin prestigieux. Puisque les noms doivent servir de support verbal aux symboles médiateurs, les noms des personnes et des lieus révèlent eux aussi l’intention de ceux qui les ont donnés et ce que ces lieux représentent à leurs yeux. (6) Aussi nous est-il permis de faire le procès de certains noms qui ornent la carte de notre continent.

Commençons par le nom Afrique : Le dictionnaire des civilisations africaines de Bernard Nantet (Larousse, 1999) fait savoir que ce terme (Afrique), pour désigner le continent dans son ensemble, date de l’époque romaine. Sur les cinq possibilités qui s’offrent pour trouver une origine à ce mot, aucune n’est endogène au continent (sauf, Afrig, dans une certain mesure, du nom d’une tribu berbère du sud de Carthage ; encore faudrait-il établir le foyer originel de cette dernière. Quant à Pharikia, mot phénicien signifiant « Pays des fruits », l’on comprend d’emblée que ces phéniciens étaient de grands commerçants et des prospecteurs avertis. Aprica en latin ou Apriké en grec (ensoleillé, chaud) est d’évidence exogène. L’expression arabe Ifriquiya employée au moyen âge pour désigner la Tripolitaine, la Tunisie, la région de Constantine, proviendrait du mot Africa ; servant à désigner l’Afrique du nord et les terres inexplorées qui s’étendaient au delà du Sahara et des côtes de l’atlantique et de l’océan indien. Cependant, Afriquiya nous permet de visualiser ce que ce terme représentait avant qu’il ne s’étende à l’ensemble du continent : les colonies romaines, les possessions romaines. La terre synonyme de richesses chez les indo-européens ? Ceci paraît plausible au regard du symbole que revêt la possession de la terre et bétail dans ces cultures. Le même principe anima la civilisation occidentale, héritière de la gréco-romaine dont l’expression triomphante sera l’impérialisme des 18e-19e siècles qui déboucha au « Seramble of Africa ». La prise de Carthage, dernière résistance africaine au IIe siècle avant J.C par les romains, introduit des rapports de domination. Le mouvement de domination s’accélère au point où, au 15e S, après la prise de Centa par les Chrétiens aux musulmans, la nature des rapports est désormais verticale. Rome règne sur le monde.

Ce nouvel ordre des rapports autorise aux vainqueurs l’instauration d’une nouvelle idéologie politique et économique. La puissante église catholique y est associée et témoigne cette injonction du Pape Nicolas V en 1452 à ses pairs occidentaux, à travers le roi du Portugal (7) :

« Facultas d’attaquer, conquérir et soumettre les sarassins, païens et autres infidèles ennemis du Christ ; de s’emparer de leurs territoires et de leurs biens ; de soumettre leurs personnes en perpétuelle servitude et de transmettre territoires et biens à leurs successeurs. (8) »

A cela s’ajoute l’essor de la pensée matérialiste qui vient orienter la politique économique de cette époque. Aussi le mercantilisme apparaît-il comme le fruit de la pensée de cette époque. Marque du moyen âge, le mercantilisme se caractérisa par la quête des métaux précieux et autres matériaux de luxe en vue de les accumuler dans les trésors des princes. La conséquence d’une telle aspiration est l’inféodation des territoires, générateurs des profits, au contrôle des puissances occidentales.

La toponymie est un repère histoire, l’a dit Dika-Akwa Nya Bonambela. Mais c’est aussi un repère géographique. Il est curieux d’observer que pendant que l’Europe occidentale arbore des toponèmes anthropocentristes (9), la toponymie de nos contrées n’est que le reflet d’indication des ressources à même d’assouvir les élans mercantilistes. Les cartes de l’époque font état de contrées désignées sous les noms de : Côte de l’or (Elmina), côte des esclaves, côte d’ivoire…ces noms vont plus tard s’étendre aux territoires devenus à la suite de la conférence de Berlin (1884) des colonies. Sauf la côte des esclaves dont l’appellation désormais inadaptée après l’abolition de l’esclavage devait se conformer aux « intentions civilisatrices » du 19e S. le golfe de Guinée qui s’étend du Sénégal jusqu’à l’enclave de Cabinda n’est à nos yeux qu’un repère de gisement de richesses qui font la fortune de leurs « baptistes », car en effet, le terme Guinée renvoie à Monnaie d’échange. À l’origine, c’est une pièce de monnaie anglaise frappée en 1662 avec l’or d’Elmina. Le terme servit aussi à désigner une pièce de tissu utilisée en guise de monnaie d’échange (10).

Il ressort que les noms qui ponctuent l’histoire de notre continent au regard de l’Europe, ne sont pas des noms exogènes, se rapportant à une valeur marchande y compris pour ses habitants.

L’on pourrait objecter en évoquant le Congo. Encore faudrait-il que ce nom conserve la même résonance et la même charge symbolique. Le Congo, à la fin du 19e S, ne représente aux yeux des occidentaux qu’un fleuve, donc, une voie de communication avec l’intérieur du continent. Les enjeux économiques aidant, la course à la reconnaissance du cours est lancée. Savorgnan de Grazza ayant atteint le fleuve Congo le 10 septembre 1880, signa un traité avec le Ilo Makoko, qui accordait à la France des terres sur la rive droite (11), Standley (travaillant pour Léopold II) sur la rive gauche, fait de même avec les chefs locaux pour contrecarrer l’action de Brazza (12). Le nom de chaque côté de la rive s’étendit à l’intérieur des terres au fur et à mesure que se dilatait l’autorité de ces puissances. Cependant, les enjeux économiques demeuraient au centre, puisqu’à la suite de la conférence de Berlin (1884-1885), les fleuves Niger et Congo étaient déclarés zones de libre commerce. Les particules Brazza et Léopoldville plus tard belge……. (incomplet) en 1908 ne sont que l’expression des zones de contrôle assurées par la France et la Belgique (ainsi, lorsqu’on dit Congo Brazzaville, l’on pourrait comprendre » partie du fleuve Congo contrôlée par la France). De plus, le système colonial en vigueur par des manœuvres habiles et parfois brutales s’est employé à détruire l’ordre politique et social préalablement établi au profit d’une politique d’assimilation directe.

Au Cameroun cependant, la rupture orthographique opérée par les nationalistes n’était que le reflet d’une volonté de se départir de l’ordre colonial français et anglais. Ce geste traduit également le désir de rétablir l’unicité Kamerounaise née sous le joug allemand. Mais un fait demeure : l’appartenance de ces trois pays (France, Angleterre, Allemagne) à la civilisation occidentale et le principe inhérent à toutes les puissances coloniales vis-à-vis de leurs colonies à savoir le pacte colonial et son corollaire d’aliénation. A t-on échappé au destin canalisé que porte notre pays malgré l’évolution orthographique : camaroes, camarones, Kamerun, Cameroun dont la réalité reste pour nous un écho prédateur au sens propre comme aux sens figurés ? Les métaphores de John Shady Francis Eone, jeune poète camerounais décédé en 1998 et auteur d’une oeuvre d’une atroce anxiété, à ce propos sont d’une frappante réalité :

« Cameroun signifie Crevette !

Nous sommes mes frères

Nous sommes mes sœurs

Des crevettes

De croustillantes crevettes !

Le premier venu peut nous

Frire dans l’huile de la torture

Le premier venu peut

Nous tremper dans les condiments de la

Pauvreté

(…)

Le premier venu peut nous Mâcher avec les dents de la violence

Le premier venu

D’ici ou d’ailleurs

Le premier venu vorace

Peut savourer un ragoût de crevettes. »

C’est dire dès l’instant où « l’on considère les mots comme intimement liés à l’essence des être ou des choses qu’ils définissent, les ressemblances de vocables ne sauraient être fortuites : elles traduisent parenté de nature, un rapport subtil que la science des prêtres aura à définir : noms de lieux, noms de divinités, termes désignant les objets sacrés, tout devient explicable par une étymologie phonétique et la porte est ouverte aux plus extravagantes fantaisies (13) ».

N’allons pas croire que la logique de chosification a changé de nos jours. Elle se poursuit à travers les clichés soigneusement entretenus par la perfidie de ceux qui tirent profit d’une telle situation.

On aura beau succomber à la poésie des noms comme Afrique, Cameroun, Guinée…ils nous apparaissent comme les indices d’une carte aux trésors. La nécessité du choix d’un nom qui révèle un projet de devenir s’impose. La tentative amorcée par quelques pays (Ghana, Burkina-Faso…) reste encore étouffée parce que la démarche ne s’est pas encore étendue à l’ensemble du continent.

Naïveté de la part de ceux qui ont foi en la parole, pourrait-on penser. Mais dessinez le diable sur votre mur, il se manifestera. Invoquer une entité par la parole, c’est l’amener à l’existence. Car les mots sont des cartes sonores qui retrouvent âme grâce à l’esprit qu’on leur insuffle.

1. Wilfried est étudiant en histoire, maîtrise, université de Yaoundé I

2. Cité par Ferrar Iniesta in L’univers africain, l’Harmattan, Paris 1995.p 47

3. F. Iniesta, l’univers africain….p 192

4. C.M faîk-Nzuji, La puissance du sacré : l’homme, la nature et l’art en Afrique noire, Maison neuve et larose, 1993

5. Dika-akwa Nya Bonambela, Les problèmes de l’anthropologie et de l’histoire africaine, clé-Yaoundé, 1982. p 82

6. C.M Faîk-Nzuji, la puissance du sacré…

7. F. Kange Ewane, Sémence et moisson coloniales, clé, Yaoundé, 1985,p 72

8. De Witte cité par F. Kange Ewane in Sémence et moisson coloniales, p72

9. Les principaux pays de cette partie de l’Europe tirent leurs noms des peuples qui les occupent et qui firent le socle de la population ; Ibérie (Potugal-Espagne) pour les Ibères, France pour les Francs, Angleterre pour les Angles (Anglais).

10. B. Nantet, Dictionnaire d’histoires et civilisations africaines, Larousse-Bordas, Paris, 1999. p 130

11. Ibid, p 48

12. Ibid, p 72

13. Serge Sauneron, cité par Dika-Akwa in Les problèmes de l’anthropologie et de l’histoire africaine, clé-Yaoundé, p140

 

Source Africultures.com, 2005



09/07/2006
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