Aimé Césaire : hommage à un père de la négritude
Aimé Césaire : hommage à un père de la négritude
YAOUNDE - 17 AVRIL 2008
© Correspondance
En littérature et en politique, Césaire a lutté pour la fierté de l'homme noir et se bat depuis quelques jours pour la vie.
Portrait : Les combats du roi Césaire
Aimé Césaire est connu au Cameroun.
L'annonce de la maladie contre laquelle il lutte depuis quelque temps a attristé plusieurs personnes appartenant à des générations différentes. Depuis le 9 avril 2008, l'écrivain et homme politique martiniquais est hospitalisé pour des problèmes cardiaques. Son état de santé est à un tel point préoccupant que certains médias, notamment la télévision haïtienne, ont même annoncé sa mort en début de semaine.
Au Cameroun, on s'est remis à penser à ce "Cahier d'un retour au pays natal" lu par des générations d'élèves de classe de première. Cette poésie où on ne comprenait pas toujours grand-chose, mais que l'on se plaisait à déclamer. On a pensé également à la "Tragédie du Roi Christophe", jouée et rejouée par des troupes de théâtre à travers le pays, à l'occasion de soirées culturelles et autres événements.
Né en 1913 en Martinique de parents lettrés (chose rare à cette époque-là), Aimé Césaire se distinguera très tôt par sa bonne maîtrise de la langue française. Son père, instituteur, disait de lui : "quand Aimé parle, la grammaire française sourit... ". Après son baccalauréat, il obtient une bourse pour la France, où il s'inscrit au lycée Louis-le-Grand à l'École normale supérieure. C'est au lycée Louis-le-Grand qu'il rencontre Léopold Sédar Senghir. Les deux hommes vont se lier d'une amitié qui durera jusqu'à la mort du Sénégalais. En 1934, Césaire fonde la revue l'Etudiant noir avec justement Senghor, mais aussi Damas, Sainville et Maugée. Le terme "Négritude" apparaît pour la première fois dans les pages de cette revue.
Deux ans plus tard, il se lance dans l'écriture. Les mots et les phrases qu'il couche sur du papier pour dire sa révolte vis-à-vis de la condition de l'homme noir aboutiront, en 1939, à la publication de "Cahier d'un retour au pays natal". Cette année-là d'ailleurs, il retourne effectivement en Martinique, son pays natal. Il y enseigne au lycée de Fort de France et fonde, en 1941, la revue Tropiques. Plus tard, en 1947, il va créer la revue Présence africaine avec un autre Sénégalais, Alioune Diop.
A côté de son engagement littéraire à travers notamment le mouvement de la négritude, Césaire va également s'engager en politique. Il adhère au Parti communisme français en 1956. Il en partira plus tard pour fonder son propre parti, le Parti progressiste martiniquais (Ppm). Sous la bannière de cette formation, il devient maire de Fort-de-France et député de la Martinique en 1945. Il restera maire pendant 50 ans. C'est à l'issue des élections municipales de 2001 qu'il sera remplacé. Mais il restera un homme très influent. On se souvient notamment de sa réaction, en 2005, au projet de loi en France qui parlait d'aspects positifs de la colonisation.
Jules Romuald Nkonlak ( Le Jour )
Rémy Sylvestre Bouelet, secrétaire général de l'université de Douala : "Aimé Césaire est un arbre dont les racines s'enfoncent dans la terre"
Césaire est un ponte de la littérature Française. Il a épousé la langue de Molière jusqu'à la moelle.
La preuve : ce monsieur à travers "Cahier d'un retour au pays natal", nous a fait découvrir en quelque sorte le glossaire de la langue Française. C'était un grand dramaturge. Ses pièces de théâtres ont tenu le haut du pavé pendant de nombreuses années et c'est encore le cas aujourd'hui : "La tragédie du roi Christophe", "Lettre à Maurice Thorez", "Une saison au Congo", "Une tempête", Etc. les "Cahiers d'un retour au pays natal", ses essais sur le communisme, ses célèbres interviews… Son œuvre est immense. C'est un homme complet en littérature, et en langue Française. C'est également un grand politicien. Il a été maire de Fort-de-France, poste qu'il a volontairement quitté parce qu'il se sentait fatigué.
Aimé Césaire a voulu faire de l'home noir un homme, tout court. J'ai compris son œuvre à travers la dialectique du maître et de l'esclave de Hegel. Pour lui, il faut que le maître d'hier reconnaisse que l'esclave d'hier est devenu maître comme lui. Mais il ne va pas jusqu'au bout de cette dialectique, il s'arrête au moment de l'inter reconnaissance. Et dans l'itinéraire de tous ses héros, il y a toujours une sorte de renaissance. Ils meurent toujours mais, ils meurent pour renaître autrement. Césaire aime s'inspirer de "Si le grain ne meurt". Césaire est un arbre dont les racines s'enfoncent dans la terre, dont le tronc s'élève toujours dans le ciel et dont les branches forment un feuillage, une sorte de refuge pour l'homme nègre. Pour lui, il faut que l'homme nègre s'enracine toujours dans la terre, qu'il soit identique à lui-même et qu'il s'élève toujours.
C'est lui qui a crée la négritude avec Léon Gontran Damas, Senghor et les autres. Il a été combattu, mais l'important pour lui c'était que les Africains acceptent qu'ils sont nègres, qu'ils assument leur négritude et qu'ils déclarent hautement qu'ils sont fiers d'être nègre. Quand Césaire Mourra il sera certainement enterré dans le Panthéon, il va rejoindre Léopold Sédar Senghor. Il restera alors pour nous une figure emblématique de la race noire.
En ce qui me concerne, je l'ai rencontré à maintes reprises, dans le cadre de mes travaux de recherches. J'ai d'ailleurs rédigé deux thèses sur son œuvre : "L'existentialisme dans le théâtre d'Aimé Césaire". Et, j'ai traité de "La martyrologie dans le théâtre d'Aimé Césaire". Qu'est-ce que c'est que d'être martyr ? C'est d'accepter d'être soi-même et de mourir pour renaître. J'ai également publié deux ouvrages sur Aimé Césaire dans lesquels j'ai analysé tout son théâtre : "Espaces et dialectique du héros césarien" et "Aimé Césaire et la martyrologie", parus aux éditions l'Harmattan. Quand j'ai rencontré Césaire j'ai eu la chair de poule. Il est à la fois impressionnant et très simple. Sa simplicité est déconcertante. Il est également très pauvre. S'il mourrait aujourd'hui, l'Afrique tout entière serait pauvre. Elle se rappellera aussi Léopold Sédar Senghor et Léon Gontran Damas et tous les chantres de la négritude. Mais ses écritures vont nous permettre de donner un sens à notre vie. J'espère que les générations futures vont continuer d'entretenir cette flamme, qui ne doit jamais s'éteindre.
Patient Ebwele ( Le Jour )
Jacques Chevrier : “Cahier d’un retour au pays natal a révolutionné la poésie française”
Que doit-on retenir de l'œuvre littéraire de Aimé Cesaire ?
C'est une figure à la fois magistrale et tutélaire des lettres africaines.
Il a joué un rôle fondamental dans la naissance de la négritude. Césaire c'est d'abord "Cahier d'un retour au pays natal", qui est un ouvrage fondamental qui a révolutionné la poésie française. Cette œuvre a ranimé et revivifié la poésie française qui était à l'époque exsangue. Il y a donc le poète mais il y a aussi le dramaturge. Césaire a souffert d'une réputation d'ésotérisme. On disait de lui qu'il est un poète difficile. Il était un homme très engagé.
Et cet engagement a certainement influencé son œuvre littéraire…
C'est cet engagement qui le conduit de la poésie au théâtre. Il avait l'impression qu'il était plus compris du public dans ses pièces. Il touchait effectivement le grand public puisque ses pièces ont été jouées un peu partout. "La tragédie du roi Christophe", "Une saison au Congo ", et d'autres pièces ont fait le tour du monde. Sur ce plan, son parcours ressemble à celui de Sembène Ousmane qui était passé du roman au cinéma pour mieux faire passer son message.
Et on l'a toujours comparé à Senghor…
Les deux ont usé leurs fonds de culotte sur les mêmes bancs au Lycée Louis le grand et à la Sorbonne avec des tempéraments différents. Senghor était tourné vers le public alors que Césaire était renfermé. On les a parfois opposés d'une manière partisane, mais leur amitié est restée forte. Césaire invente le néologisme " négritude ", mais c'est Senghor qui exploite le concept. Ils sont piégés par la politique. Ils deviennent tous deux des députés dans une sorte de messianisme qui stipule que les écrivains doivent s'impliquer dans la gestion du pouvoir pour y apporter une lumière salvatrice.
Mais Césaire est perdant à l'heure de la reconnaissance…
Auprès du public, il a bénéficié d'une meilleure aura. Ses œuvres ont été plus appréciées que celles de Senghor. Pour ce qui est de la reconnaissance des officiels, il faut savoir que Césaire n'a jamais recherché les honneurs. C'est un homme assez retiré à la différence de Senghor qui préférait effectivement ces honneurs. Mais il reste un monument de la littérature universelle. Son œuvre a été étudiée dans de nombreuses thèses.
Et que reste-il de la négritude dans les contenus littéraires aujourd'hui ?
Elle est encore présente en terme de reconnaissance. Plusieurs écrivains pensent que ça a été un temps fort, un mouvement qui a permis à un moment de fédérer les efforts. Mais je pense que la critique de sa littérature est très influencée par son activité politique. Les indépendantistes ne lui pardonnent pas son rôle dans le choix de la départementalisation de certaines territoires d'Outre mer. Une attitude qui s'explique par le fait que Césaire lui même n'a jamais dissocié son activité littéraire de son engagement politique.
Yves Mba ( Le Jour )
André Marie Ntsobé : " Césaire s'est battu pour qu'on reconnaisse à l'homme noir sa civilisation "
Le vice -recteur chargé des enseignements analyse l'apport d'Aimé Césaire dans le mouvement de la Négritude.
Quel est l'apport d'Aimé Césaire dans la négritude ?
Aimé Césaire est l'un des pères fondateurs de la négritude.
Parmi les principaux tenants, nous avons Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas, etc. Vous savez que la négritude est partie d'un courant qui visait la connaissance et la reconnaissance de l'homme noir dans tout ce qui existe en lui en tant que individu, dans ce qu'il est par rapport au Blanc. Il y a d'abord une différence par rapport à la couleur de la peau, par rapport à la culture, c'est-à-dire relativement à la façon de voir la vie et même la façon d'agir, d'où le mot négritude, défini par Senghor et Césaire comme l'ensemble des valeurs du monde noir : valeurs que l'on peut retrouver dans leurs institutions et leur mode de vie.
Quelle démarcation peut-on établir entre l'approche de Césaire et celle des autres ?
Senghor avait des positions tranchées ou fermes au début des années 30. Sa formule " l'émotion est nègre et la raison hellène " éclaire ce point de vue. Césaire met un accent particulier sur l'homme noir face aux défis qui l'interpelle par rapport aux questions telles que la colonisation, la décolonisation. Aimé Césaire, 94 ans aujourd'hui, a été pendant plus de 50 ans dans la scène politique. Il s'est battu pour la libération de la Martinique du joug français et après il s'est rallié. C'est dire qu'il a évolué et on sait que la Martinique n'est pas indépendante, c'est un territoire d'Outre mer. On peut bien être Français et ne pas être colonisé. Césaire s'est battu pour qu'on reconnaisse à l'homme noir sa civilisation, son mode vie.
Le discours de la négritude est-il encore actuel ?
Pas du tout. Je ne me reconnais pas dans ce discours. Depuis Senghor, personne ne peut plus soutenir que l'émotion est nègre. Il y a encore des spécificités mais on ne saurait définir le nègre dans des formules réductrices. Par conséquent, l'essentiel serait de prôner, comme Senghor, une civilisation de l'universel et une parfaite symbiose. Césaire et Senghor sont les patriarches de la mondialisation.
Peut-on établir un parallélisme entre le mouvement de la négritude et le panafricanisme ?
Oui, de "pan", le panafricanisme tend à une unité de l'Afrique et traduit bien le projet de Kwame Nkrumah. Le panafricanisme se situe surtout au niveau politique, alors que la négritude est beaucoup plus globale. Le panafricanisme est donc politique, tandis que la négritude a un caractère plus général.
Jean-Philippe Nguemeta ( Le Jour )
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