DOUALA :UNE VILLE EN CHANTIER, MAIS SANS PLAN
DOUALA:
UNE VILLE EN CHANTIER, MAIS SANS PLAN
Par Suzanne Kala-Lobè
Publié le 27-09-2006
Si la récente nomination d'un nouveau délégué du gouvernement a provoqué le traditionnel lot de rires, de larmes, de félicitations, il reste la construction d'une stratégie de développement pour la ville.
Après les cris et larmes, les rires et les grincements de dents, Douala doit se réveiller et s'interroger : pourquoi, à aucun moment le bilan d'une gestion de la ville ne se fait ? Comment penser qu'une ville peut se bâtir en restant à la merci des nominations, et parachutages de forme, alors qu'elle reste le poumon économique du Cameroun ? Qu'elle grandit sans avoir le contrôle de sa croissance ?
Les récentes nominations décrétées par le chef de l'Etat, au-delà de leur caractère spectaculaire et capricieux, posent des problèmes de fond sur la gestion de la Cité portuaire en particulier et du pays en général.
Les nominations sont des rituels qui permettent à un chef de contrôler ses troupes. Celles récentes d'un délégué du gouvernement et de nouveaux ministres ne changent rien à la logique. Toutefois, restent les conséquences des nominations sur l'enjeu du développement du Cameroun. Deux problème se posent : on continue à nommer les délégués du gouvernement comme si on ne préparait pas la transition de la gestion pour aller du délégué au maire élu par les conseillers des communautés urbaines. On continue à nommer comme si la perspective de la régionalisation n'imposait pas plus de prospective pour poser un acte administratif. Aussi, au-delà des hommes que l'on change, des têtes qui tombent et celles que l'on couronne, faut-il voir comment a évolué la fonction de celui qui avait la charge administrative de la gestion des grandes entités comme les villes chefs-lieux des provinces.
Des hauts commissaires aux Dg.
Avant que Fritz Ntone Ntone, ne devienne le cinquième délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Douala, il y a un maire, après les indépendances et les hauts commissaires. Inventée à l'époque coloniale, la fonction de haut-commissaire était une fonction de contrôle politique. Celle-ci se transforme en 1956. La camerounisation de l'Etat va donner naissance à un super-maire autochtone et les premiers textes sur la décentralisation vont créer des communautés urbaines. Avec les lois de 1987, il est étendu le statut de Commune urbaine à d'autres villes que Douala et Yaoundé, mais il faudra attendre les années 90, pour que des délégués du gouvernement opèrent partout.
Cette modification de statut est liée au contexte politique et aux enjeux de contrôle social. Cette loi a une fonction double : doter d'un point de vue administratif les terroirs d'un responsable, garder le contrôle politique de celui-ci en nommant un délégué du gouvernement ; deux villes passent au statut de communauté urbaine, quelques unes gardent un statut particulier et, quelques années plus tard, le pays est doté de dix communes urbaines, correspondant aux chefs-lieux des régions. De 1959 à 2006, Douala grandit, évolue, change et la gestion politique de la cité aussi. Avec l'arrivée du multipartisme, en 1991, des élections en 1996 mettent une parenthèse à la gestion unique du seul parti du chef de l'Etat. Mais elle durera que peu de temps. Dès 2003, le Rdpc reprend le contrôle de la ville rebelle. Entre temps, la fonction de délégué du gouvernement se modifie : en démocratie, il devient le super-maire, préside les conseils et a un pouvoir décisionnaire de plus en plus fort. Mais, malgré les évolutions démographiques de Douala, malgré les changements culturels survenus, le mode de gestion de la cité reste tributaire de cette double conjonction. La ville, si elle a des plans, ne le fait pas savoir à ses habitants. Tout se passera comme si nommer un délégué du gouvernement à la Communauté urbaine n'était qu'une astuce de pouvoir. Pour permettre à Paul Biya de donner ce qu'il faut à chacun de ses affidés.
De cette redistribution, il en est résulté que la plupart des délégués ne vont avoir ni vision de la ville, ni projets pour celle-ci. Et à voir les incohérences structurelles de l'urbain, on comprend bien qu'elle a évolué comme un bateau ivre, sans plan pour la retenir ni moyens pour la soutenir. Au moment où survient la sixième nomination d'un délégué du gouvernement à Douala, n'est-il pas temps de faire le bilan de la gestion des affaires de la cité ? Car, une fois la récréation terminée et le nouveau délégué installé, que restera-t-il de ses calculs ? Douala avec ses routes inachevées, son développement inégal, ses chantiers engagés. Mais aussi, pour la première fois, une réflexion lancée avec la controverse de Sawa Beach sur le type de ville qu'il faut à un pays pauvre très endetté qui doit pourtant se donner les moyens pour en sortir. Il y aura la manière dont il faut envisager le financement de la ville en tenant compte de la faiblesse des moyens.
Défis.
Quels sont les défis qui attendent le nouveau délégué du Gouvernement ? D'abord assurer la continuité de l'Etat. Puisque la tradition semble vouloir qu'à chaque nouveau délégué, on change les hommes-clés, notamment aux finances, sans s'émouvoir de ce qui a pu être mis en place comme instruments civiques de gestion. Ensuite, la ville chantier. L'urgence de la modernisation de la ville impose un débat de société, certes, mais aussi des mesures courageuses et certainement impopulaires : comment faire. Car il est difficile de faire la ville en bricolant. Mais peut-on la bâtir en bousculant ses habitants sans ouvrir les voies du dialogue et de la concertation ? Doit-on laisser aller les entrepreneurs des travaux publics dans des opérations qui ont coûté cher à la ville ?
Mais il y a une autre question qui concerne le fonctionnement démocratique, induit par la décentralisation. Dans le mouvement qu'il a provoqué au sein de la technostructure qui forme son administration et la gestion de Douala et Yaoundé, Paul Biya a procédé à un réajustement.
Désormais, six adjoints au lieu de quatre accompagneraient les délégués dans leur gestion. Chaque délégué ayant à suivre " un arrondissement ". Cette disposition du travail ne manquera pas de poser quelques problèmes : dans la perspective de la création des régions, que vont devenir ces adjoints ? Comment leur fonction sera-t-elle compatible avec celles des maires d'arrondissement ? Qui fera quoi et aura la prééminence sur qui? En distribuant ainsi des postes à tour de bras pour remercier ceux qui l'ont aidé dans sa campagne et en bombardant ses lieutenants à des postes de contrôle, Paul Biya n'a guère pensé à la construction d'un bonne gouvernance. Il a saupoudré, il a distribué, il a remercié sans penser à une chose : comment assurer la continuité de l'Etat et garantir l'achèvement des chantiers engagés ? Car une capitale ne se bâtit pas par un jeu de " pousse-le de là pour en mettre un autre ", mais par le fait d'intégrer en un seule et même politique les défis de l'urbanisation.
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