BONA SAWA

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LA FRAGILITE DE LA PRESSE UNE MENACE POUR LA DEMOCRATIE CAMEROUNAISE

LA FRAGILITE DE LA PRESSE

UNE MENACE POUR LA DEMOCRATIE CAMEROUNAISE

 

 

Publié le 14-07-2006 Par Dr Georges MADIBA

 

 

Baisse du lectorat, flambée des coûts, baisse des recettes publicitaires, prix prohibitif, dé crédibilisation de la profession, la presse camerounaise est en sursis. Et avec elle, le processus démocratique.

 

Dans un contexte sociopolitique profondément marqué par une coexistence pacifique entre les différents acteurs politiques et la société civile, et un appauvrissement croissant du consommateur, l’avenir de la presse (qu’on dit “ écrite ”, mais peut-il en être autrement ?) n’est pas rose.

Alors que les prix des matières premières de la production d’un journal sont en constante hausse depuis la dévaluation de 1994, la libéralisation du secteur audiovisuel qui grignote de plus en plus les rares lecteurs de la PQN (Presse quotidienne nationale), et la baisse des recettes publicitaires en valeur relative ont fini par fragiliser l’équilibre financier - et donc économique des journaux.

C’est dans ce contexte relativement morose que les pouvoirs publics ont enjoint les responsables des différentes publications à se conformer aux normes sociales en affiliant leurs employés à la Cnps. L’objectif avoué de cette normalisation économique est aussi, en quelque sorte, d’assujettir ces entreprises à l’imposition.

Si on peut se féliciter que la situation sociale de l’ouvrier de la plume qu’est le journaliste soit désormais prise en compte, on peut néanmoins regretter que les directeurs de publication (Dp) perçoivent ces cotisations sociales comme une charge financière. Car l’affiliation à la Cnps et la constitution en entreprise ont un coût. Les Dp qui le savent bien font la moue parce qu’ils ont cru, pendant trop longtemps, que la presse était une œuvre sociale exonérable de charges fiscales, et qui ne devait bénéficier qu’à son promoteur.

Ce schéma de perception est devenu caduc. Et l’impérieuse nécessité de se constituer en entreprise structurée est restée le principal défi de la “ presse camerounaise ”. Le mot Presse étant le terme générique qui désigne un ensemble de journaux publiés dans une zone géographique donnée, nous distinguons :

- La Pqn (les 4 quotidiens par ordre alphabétique : Cameroon Tribune, La Nouvelle Expression, Le Messager et Mutations

- Les Bi et Hebdomadaires : Dikalo, Le Popoli et Le Manager, de bonne tenue et de nombreux “ journaux de facture ” dirigés par des maîtres chanteurs et des kamikazes.

Ces derniers, pour exister, sont dans l’obligation de faire du bruit, et pour survivre, sont contraints de lorgner la vie des personnalités publiques par le petit trou… de leur intimité. Créés pour contrebalancer l’influence de la presse dite d’opposition, ces journaux n’ont plus de justification d’exister dans cette situation de “ paix des Braves ” qui prévaut entre l’Etat et la presse privée. Le monstre n’ayant plus son “ gombo ”…, il dévore tout naturellement son géniteur ! D’ailleurs, cette singularité qui consiste à qualifier un journal “ d’opposition ” est un contre sens car la presse tire sa légitimité du fait qu’elle est un contre-pouvoir et non contre le pouvoir.

On le comprendra aisément si on accepte l’idée que chaque pouvoir suscite naturellement un contre-pouvoir.

Le grand fatras médiatique et politique qu’a constitué la publication de listes des prétendus homosexuels et celle des milliardaires est le signe d’un début de collusion entre les journalistes et les politiques. Autrement dit, si on peut blâmer la méthode utilisée par les “ journalistes des listes ” - car elle ne respecte aucune règle élémentaire de la déontologie - on peut cependant s’interroger sur le silence des autres journalistes qui ont évité de traiter ces sujets ; les éléments d’enquête étaient pourtant à leur disposition. Pourquoi n’avoir pas voulu en savoir davantage sur la signification de l’acte posé par le jeune garçon qui a poignardé son camarade à l’école américaine pour harcèlement sexuel ? Les dires de ce dernier étaient pourtant clairs ! Peut être que les journalistes influents, gardiens de l’orthodoxie professionnelle, souvent invités à la table des Décideurs, manifestent la volonté ne pas déranger et de plaire à ceux qui dispensent satisfecits et honneurs.

La presse qui a publié à cette période ces “ faits divers ”, au lieu de clouer au piloris ces “ imposteurs ”, auraient pu leur couper l’herbe aux pieds en menant une enquête sur ce sujet de mœurs et de moralité politique très graves. A peu de cas près, la presse camerounaise qui, historiquement, s’est construite comme un contre-pouvoir tend de plus en plus à s’identifier au pouvoir politique de manière scandaleuse. Hormis quelques aboyeurs maladroits et intéressés, les “ gatekeepers ” (gardiens du temple) sont essoufflés tandis que les “ chiens de garde ”1 prospèrent. Sans doute l’époque s’y prête !

Pour assumer pleinement ses différentes fonctions et principalement celle de Vigile du champ politique et celle de reliance sociale, la presse camerounaise, celle de bonne tenue en tous cas, doit parvenir à un saut qualitatif sous peine de s’enliser et de mourir à petit feu. Il est indéniable que financièrement la presse et les journalistes sont fragiles.

Au regard de l’étroitesse du marché publicitaire (hormis les opérateurs de téléphonie mobile, les entreprises brassicoles, de jeu de courses hippiques et quelques autres du secteur agro alimentaire, c’est presque le désert !), de la faiblesse des tirages, du prix prohibitif, il est compréhensible mais pas légitime que certains Dp fassent appel aux fonds occultes pour renflouer leur caisse. Les Camerounais ayant accepté l’idée que “ Politic na njangui ”, dans le cas du financement occulte, la presse se trouve contrainte de renvoyer l’ascenseur en étouffant les frasques et les turpitudes économiques du “ sponsor ” !

Pour sortir de ce schéma, les journaux ont tout intérêt à se muer en entreprises et à se structurer rationnellement ; chaque élément de l’organigramme ayant des fonctions et des compétences claires et précises. Par exemple, que le Dp cesse de confondre son rôle à celui du Dg ainsi que la caisse du journal à son compte bancaire personnel. Bref, que le Dp, très souvent le promoteur du journal consente à se départir d’une parcelle de son pouvoir pour se consacrer par exemple à élaborer des stratégies du développement de l’entreprise. Parmi lesquelles la constitution d’un capital ouvert aux employés de l’entreprise, aux industriels, aux banques ou aux personnalités physiques crédibles et de moralité certaine. Cet apport en liquidité permettrait d’investir dans la production tant matérielle qu’humaine nécessaire à la fabrication de journaux de qualité, attrayants pour le lecteur. Car malgré les particularités culturelles et les rapports complexes entre le monde de l’entreprise et les décideurs politiques, le secteur de la communication (téléphonie et médias) est celui qui connaît un dynamisme économique certain.

Dans une médiocrité technique sans pareil - comparativement au Sénégal, à la Côte d’Ivoire ou même au Bénin - les journaux camerounais se ressemblent tous ; les “ Unes ” sont construites sur le même modèle ; la mise en page manque singulièrement de créativité et de photos de qualité pour illustrer l’actualité. Et l’infographie pour illustrer un certain type de sujets n’est même pas à l’ordre du jour ! Faute de sources diversifiées et d’une agence de presse nationale (qui jouerait le rôle du journal des journaux, de grossiste pour les détaillants que sont les journaux) la presse camerounaise se départira difficilement du journalisme de commentaire et d’opinion2 . Elle laisse souvent la désagréable impression que sa principale préoccupation est de paraître et non de fournir une information de qualité, une information utile et complète.

Ce saut qualitatif ne doit pas exclusivement être réservée à la presse. Parallèlement, doivent se développer des mécanismes de “ veille sociétale ” (tels que les instituts de sondage, association de journalistes travaillant sur l’autorégulation, association de lecteurs critiquant les pratiques et les contenus des journaux) qui interrogeraient le fonctionnement des rédactions.

Cette entreprise passe aussi par une restructuration organisationnelle des rédactions (instauration des garde-fous déontologiques, avec création d’un “ ombudsman ”, un médiateur qui jouerait le rôle de garde fou au sein de la rédaction, avec des chartes graphiques, rédactionnelles etc…) afin de canaliser certaines dérives…

Malgré les vicissitudes existentielles liées à l’évolution du processus démocratique au Cameroun, la presse a su maintenir un capital symbolique de légitimité, mais n’a pas su, dans l’ensemble, proposer un contenu qui tienne compte de l’élévation du niveau d’instruction, des pratiques culturelles du public, des mutations sociopolitiques et de l’ouverture de plus en plus marquée au monde.

Quel que soit le dynamisme des médias audiovisuels, quel que puisse être leur rôle dans la constitution d’un espace public de paroles à la vertu cathartique, notre pays a besoin d’une presse de qualité, d’entreprises de presse viables financièrement et puissantes afin de permettre aux journalistes d’éviter le “ gombo ” et la prostitution de leur plume. Car seul l’écrit peut assurer un lien permanent entre le flux de nouvelles et leur mise en perspective ; entre le choc des images et le poids de la réflexion. Et le danger que court le processus de démocratisation actuel c’est que les pouvoirs publics continuent de considérer la presse privée comme un ennemi et non comme un partenaire pour l’éducation des populations et leur participation au débat citoyen. Car l’aspiration légitime du public à savoir et à comprendre la gestion de la “ res publica ” passe nécessairement par l’écrit.

Ceux qui n’ont que la télévision ou la radio comme seule source d’informations sont nécessairement handicapés pour savoir et comprendre la gestion de la chose publique. Et le hic c’est qu’actuellement, rien n’est entrepris concrètement pour aider à moderniser la presse et la rendre accessible au grand nombre.

Il s’agit là d’une question centrale pour ancrer la démocratie dans notre pays et éviter qu’on ne jette en pâture le nom de certains citoyens présumés ceci ou cela…

Pour parvenir à une presse de qualité (2ème étape), les entreprises constituées devront développer des stratégies de synergie tout au moins, sinon de concentration.

La concentration dans ce secteur n’est pas en soi, dans notre contexte, la fin du pluralisme. On peut y songer, mais le plus indiqué dans un premier temps reste la synergie des compétences.

Imaginons un Quotidien X, installé à Douala ou à Yaoundé, il a tout à gagner en signant un accord de partenariat avec un Hebdomadaire régional couvrant le Septentrion, le Sud ou le Grand Ouest. Chacun gardant son domaine de compétence et son public. L’Hebdomadaire régional (Hr) fournit le Quotidien national (Qn)en informations que ce dernier ne peut obtenir à partir de son correspondant, incapable, seul, de couvrir raisonnablement une province.

Cette mise en commun de compétences présente quatre avantages :

- La réduction substantielle des coûts de fabrication de l’information pour les deux partenaires.

- Cette économie d’échelle induite favorisera la pérennité de la Presse hebdomadaire régionale. Cela peut sans doute ouvrir un nouveau créneau pour ces “ journaux de facture ” qui polluent les kiosques et parasitent le champ médiatique.

- La couverture plus large du Triangle national, au-delà des centres urbains des métropoles que sont Douala, Yaoundé et Bafoussam.

- La Pqn étant plus fournie en informations de proximité, la Phr ayant les moyens d’être encore plus proche de son public, la presse camerounaise assurera par conséquent sa fonction de reliance sociale.

Avec la décentralisation tant annoncée, et notamment le transfert des compétences (politiques et économiques) aux régions, en principe, l’équilibre des pouvoirs sera renversé. La Presse hebdomadaire régionale est amenée à jouer son rôle de “ gatekeeper ” (gardien du temple) pour que les barons régionaux ne remplacent pas les seigneurs nationaux dans la gestion calamiteuse des deniers publics. Mais pour y parvenir, il faut que la Pqn et la Phr soient structurées et puissantes.

Les enjeux d’une presse moderne et structurée dépassent le secteur des médias. Il y va d’un choix de société. Car la qualité d’une démocratie se mesure non à la quantité de journaux, mais à la qualité de l’information qu’ils publient. Si les journaux, parce que fragiles, vont chercher leurs informations dans les caniveaux, c’est le signe que le système démocratique en question est malade, en tout cas que sa santé se dégrade.

 

1 Le terme “ chien de garde ” a été utilisé pour la première fois par Paul NIZAN en 1932 pour dénoncer les philosophes qui voulaient dissimuler leur participation à “ l’actualité impure ” de l’époque par l’utilisation de grands concepts. Le titre de son essai est : “ Les chiens de garde ”

 

2 Il serait édifiant pour les Francophones de jeter un coup d’œil, sans condescendance, de temps en temps, sur la presse anglophone.

 

Source: Nouvelle Expression,2006



03/08/2006
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