LA PRESENCE DES MONUMENTS MILITAIRES OCCIDENTAUX EN AFRIQUE EST UN CRIME CONTRE L'HUMANITE
Propos recueillis Ferdinand Mayega
De nouveaux visages à présager pour nos cités
La décolonisation de nos villes africaines en général et des villes Camerounaises en particulier, à l'exemple de Douala, est une impérieuse nécessité. Le Pr. Albert François Dikoumé chef de département d'histoire de l'Université de Douala explique.
Les villes africaines notamment celle de Douala au Cameroun sont envahies par des monuments à la gloire des colonisateurs et non des colonisés et nationalistes Camerounais. Comment expliquer et admettre cet état de chose ?
Ce qu'il faut savoir, c'est que la ville africaine est d'abord une création coloniale. Quand on arrive dans une ville comme Douala, Bonanjo qui est le quartier administratif créé par les Européens, en particulier les Allemands, est la démonstration même d'une ville coloniale, encore plus. C'est un espace destiné à satisfaire les besoins du colonisateur. L'administration, l'habitat, les loisirs, etc. Il n'est donc pas étonnant qu'à Bonanjo on ne trouve que ce qui reflète la philosophie de la vie et même la doctrine coloniale du colonisateur. C'est pour ça que vous trouverez des immeubles pour l'administration, des monuments à la gloire du colonisateur et en particulier " le soldat inconnu ", "Leclerc ", et que vous ne trouverez nulle part un monument à la gloire des Camerounais. On aurait pu penser par exemple à élever un monument là où le Roi Rudolf Douala Manga Bell a été pendu. Mais, il n'en est rien. Ce n'est que assez récemment, qu'on a placé un panneau qui indique que c'est là qu'il a été pendu. Mais si vous lisez attentivement ce panneau, vous vous rendrez compte que le titre de ce panneau c'est " commissariat de police " ou "police station " en anglais. C'est déjà édifiant, il faut saluer le travail de celui qui a fait cela, de marquer les lieux de mémoire. Mais cela montre déjà la qualité et l'origine de celui qui a placé ces panneaux, c'est un Européen. Puisque ce qu'il aurait pu mettre en exergue ici, c'est la pendaison. Il est vrai, il le dit dans le texte. Mais celui qui n'a pas le temps de lire ce texte et qui se fixe uniquement au titre " police station " ne saura jamais que c'est là où Rudolf Duala Manga Bell a été pendu. Pour que les choses changent, il faut qu'il y ait une réappropriation de l'espace de notre culture, notre histoire. Il faut qu'il existe les lieux de mémoire occupés, non pas par des Européens mais par nous-mêmes et qui sont organisés par nous-mêmes. Il faut également qu'il y ait une espèce de décolonisation de l'histoire. C'est-à-dire qu'on ne fasse plus l'histoire des Européens en Afrique ou au Cameroun mais l'histoire des Camerounais. A ce moment là, les Camerounais auront des lieux qui seront chargés de mémoire significative. Cela ne devrait pas manquer dans la ville de Douala.
Tout récemment un Camerounais à l'occurrence M. Mboua Massock s'est amusé à détruire ces monuments à l'honneur des colonisateurs. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Je ne sais pas si ça vaut la peine de détruire ces monuments parce que la colonisation fait également partie de notre histoire. Ces lieux ont été créés par les Européens, je crois que c'est à nous de créer d'autres lieux au lieu de détruire ce qui existe. Il s'agit de créer d'autres lieux de mémoire collectifs des Camerounais ou qui reflètent la mémoire collective des Camerounais. On peut créer des musées, des maisons de cultures, des monuments, etc. Je comprends que M. MBoua Massock soit frustré qu'il n'existe rien ou presque rien à Douala pour honorer nos héros. Mais je crois que ce n'est pas la peine de verser dans les actions excessives de ce genre. On ne peut pas effacer beaucoup d'années de colonisation entre 1884-1960, soit 76 ans de domination, du passé colonial de manière radicale. Il faut aussi accepter ces moments que nous avons vécus qui sont assez édifiants, douloureux pour nous tous au lieu de les détruire. Je ne suis pas pour la destruction de ces espaces mais pour que les Camerounais eux-mêmes réfléchissent pour leur culture et leur mémoire et se créent des lieux du souvenir pour exprimer cela.
L'arbre sur lequel le roi Rudolf Duala Manga Bell a été pendu a vieilli et est tombé. Sous d'autres cieux comme en Chine on trouve des arbres de six siècles et même millénaire. Comment expliquer cela ?
On ne peut trouver cela normal. C'est justement cette indifférence à notre histoire qui l'a provoqué. Combien de Camerounais passent à cet endroit tous les jours et ne savent pas que Rudolf Duala Manga Bell a été pendu là. Il est possible que l'arbre ait été détruit parce qu'il était vieux, il était malade et ne respirait plus suffisamment. Si cet arbre avait des racines qui se trouvaient à l'étroit, tout ceci a provoqué la dégénérescence, c'est parce que nous n'observons pas suffisamment notre environnement et nous ne sommes pas suffisamment soucieux de certains nombres de choses. Il faut que de plus en plus, nous prenions en compte notre culture, qu'on revalorise véritablement notre histoire. C'est que nous semblons ne pas avoir la volonté de prendre compte de cela. Mais je dis que c'est un problème de volonté politique. Le jour où les Camerounais voudront se souvenir vraiment de leur passé, ils mettront en œuvre un certain nombre d'actions. Mais, ce n'est pas encore le cas et même dans les programmes de nos écoles. On continue à enseigner aux enfants que l'histoire est la connaissance du passé basée sur les écrits. C'est dépassé. Il faudrait qu'un effort soit entrepris pour que les gens ne le pensent plus. On continue à enseigner que les Bamilékés sont sémi-bantous. Les sémi-bantous, cela n'existe pas. Soit on n'est bantou ou on ne l'est pas. Or dans les milieux scientifiques, on sait que les langues de ceux qui habitent les hauts plateaux sont parmi les plus vieilles langues bantous et que les gens qui y vivent sont là depuis plus de 8000 ans. C'est des choses qu'il faut rectifier. Peut-être que vous pensez aussi que ce sont des sémi-bantous. Ça n'existe pas un sémi-bantou, on est bamtou ou soudanais. Voilà la réalité. Il y a un travail à faire et il faut que les programmes scolaires soient époussetés. Il y a des choses qui ont été faites mais le travail de vulgarisation n'est pas assez effectué dans nos universités, à Yaoundé par exemple il y a des mémoires de recherche, des thèses de doctorats mais combien les connaissent. Donc, il faut qu'on aide à la vulgarisation.
Qu'est ce qui explique la réticence des gouvernements, des politiques à la vulgarisation des connaissances. Est-ce de l'ignorance par exemple ?
Je ne sais pas s'il y a l'ignorance. Mais, c'est que les gens ont des priorités que celles là. A partir de ce moment, ils accorderont leur attention à ces propriétés. La culture est la dernière roue de carrosse. Je ne pense pas qu'il y ait de la mauvaise foi. C'est tout simplement que dans leur manière de penser, de réfléchir, la culture vient en arrière. Il y a d'autres choses importantes. Il faut colmater les rues, percevoir les impôts. Tout ceci est plus important que penser à la culture.
Tout récemment au Bénin, j'ai été à Ouidah à 37 km de Cotonou où le souvenir de l'esclavage est présent et attire de nombreux touristes du monde. Pourquoi le gouvernement traîne les pieds avec la culture, l'histoire qui peuvent générer aussi beaucoup d'argent ?
Je ne peux répondre à la place du gouvernement. Mais ce que je peux dire c'est que, il y a des gens qui ont travaillé sur les routes de l'esclavage par exemple à l'université de Dschang ou de Yaoundé. Il faut qu'on aille au-delà des travaux de recherches, il faut qu'il y ait des lieux qui rappellent la traite négrière ou l'esclavage dans ce pays surtout à la côte comme à Douala. Dans la délégation des américains qui ont visité Douala avec moi, il y avait des africains américains. Ils ont été déçus de ne pas trouver dans cette ville de Douala, un lieu qui leur rappellerait leurs ancêtres qui sont passé par ici. Et je crois que s'il y avait un lieu comme celui là, il attirerait le monde. C'est à l'Etat de penser. Evidemment, si on me demande mon savoir faire, de participer à un tel travail, je le ferai avec beaucoup d'enthousiasme mais jusqu'à présent rien n'a été fait dans ce sens. Il y avait à l'hôtel de ville de Douala un petit musée avec de très belles choses. J'ai connu ce musée il y a une trentaine d'années, aujourd'hui la plupart des pièces a été volé. Qui peut savoir aujourd'hui que les Dualas fabriquaient les masques, il y avait des masques Duala dans ce musée, tout cela a été volé. Il y a quelques années à Lausanne en Suisse, il y a eu l'exposition des masques Duala, la plupart des masques ont été emmené par les missionnaires, etc. A cause des missions, les Duala se sont vus interdire carrément de faire les masques et ont emmené un certain nombre d'objets et même, le savoir faire a disparu. Voilà où on en est. C'est notre passé qui est enfoui de plus en plus et qu'on ne peut pas toujours retrouver car notre culture a subi les assauts de la colonisation que ce soit l'administration ou le missionnaire. Notre culture continue à subir d'autres assauts aujourd'hui. Si vous ne faites rien pour que cette culture soit vivante, elle va disparaître, parce que cela signifie que vous œuvrer contre elle.
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