BONA SAWA

BONA SAWA

UNE HISTOIRE DU CAMEROUN ENTERREE PAR L'UNITE NATIONALE

JACQUES ET LE CALLOU BAMILKE

 

mercredi 21 février 2007 par Moussa Ka

 

Les vieux ont toujours des belles histoires à raconter. Par exemple celle d'une répression féroce et oubliée, subie par les Bamiléké, au Cameroun au temps béni et glorieux de l'indépendance.

 

« Le Cameroun s'engage sur les chemins de l'indépendance avec, dans sa chaussure, un caillou bien gênant. Ce caillou, c'est la présence d'une minorité ethnique : les Bamiléké » [1] . La phrase, écrite par le Colonel français Jean Lamberton trois mois après la proclamation de l'indépendance du pays, bourdonne encore dans de nombreuses oreilles. La « race » Bamiléké donc, serait par nature allergique au pouvoir de Yaoundé, capitale qui unifie et illumine le reste du pays. Une analyse qui, hier comme aujourd'hui, est aussi trompeuse qu'un camouflage vert kaki. D'abord parce que les Bamiléké ne furent pas les seuls à résister au pouvoir colonial – et à ses successeurs [2] . Ensuite parce que de nombreux Bamiléké participèrent eux aussi à la répression gouvernementale qui, sous prétexte de lutte contre « les subversifs », saccagea le pays jusqu'à la fin des années 1960 [3] . Le Cameroun eut, lui aussi, ses harkis.

 

C'est le cas de Jacques, la soixantaine, qu'on rencontre dans le bar paumé d'un village paumé, entre Dschang et Bafoussam. Il parle sans difficulté de cette époque sanglante. « On nous a appelés, on était encore des enfants, se souvient-il. Et on nous a dit d'aller en guerre ». Il y est allé. Il est entré dans la « Garde civique », la force supplétive – plusieurs milliers d'hommes – de l'armée coloniale. Jacques se souvient précisément de la date de son incorporation : « le 30.11.59 », un mois tout rond avant l'indépendance. Une époque troublée : alors que beaucoup rejettent la fausse indépendance et le gouvernement fantoche que Paris leur impose, certains s'organisent militairement au sein de l'Armée de Libération Nationale Kamerounaise (ALNK), très active en pays dit Bamiléké. Pour lutter contre ces excités, les instructeurs français forment Jacques, vite fait bien fait, et l'envoient gambader entre les arbres pour zigouiller les grands frères du maquis. Petits meurtres entre amis du village, et en catimini. Clic, clac ! Merci Kodiak de n'avoir pas immortalisé cette page « positive » de la décolonisation française.

 

Peu d'images, donc. Mais ceux qui aiment fouiller trouveront tout de même quelques photos : celles, par exemple, des têtes coupées que l'armée exposait sur les places des villes et des villages pour apprendre la politesse aux gens du coin. C'est efficace, en plus d'être décoratif. Les autorités néo-coloniales utiliseront la méthode pendant des années et dans toute la région. La question gratte la langue : « Qui coupait les têtes des rebelles ? ». Réponse de l'ancien Garde civique : « Ben… c'est nous ». Ben oui. Jacques n'a pas l'air rongé par le remords. Il s'amuserait presque en se remémorant le bon vieux temps. Ben quoi ? Si j'avais pas été de ce côté-là, j'aurais dû me réfugier dans l'autre camp qui ne faisait pas mieux…

 

Le truc qui le gêne, Jacques, c'est le sentiment persistant de n'avoir pas été justement récompensé de ses bons et loyaux services. À l'époque, il gagnait 3.000 Cfa par mois [4] . C'était maigre. Et quand le petit jeu rébellion-répression a pris fin, ça été encore pire. Il s'est retrouvé sur la paille, jusqu'à aujourd'hui. Le vieil homme prend à témoin sa chemise crasseuse et ses groles en lambeau. Et, réflexion faite, arrête net de répondre aux questions. « J'ai plus rien à dire », lance-il, bourru. Le remords qui remonte enfin ? Non. Il demande juste un petit billet en échange de son témoignage. Il y en a garde la tête sur les épaules. On payera sa consommation, en l'honneur de la France.

 

[1] Les Bamiléké dans le Cameroun d'aujourd'hui , Revue de la Défense Nationale, Paris, Mars 1960, pp 161-177.

 

[2] Le Colonel Lamberton est bien placé pour le savoir : c'est lui qui fut chargé de « pacifier » la région Bassa, entrée en rébellion à la fin des années 1950. Il convient, expliquait-il alors, de « corriger la mentalité revendicatrice et l'esprit individualiste (orgueil et égoïsme) du bassa »…

 

[3] Plusieurs dizaines de milliers de morts, au bas mot.

 

[4] Sans compter les primes qu'on donnait, dit-on, pour chaque tête rebelle rapportée au supérieur…

 

SOURCE : http://www.bakchich.info/article791.html

 



04/10/2007
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