LE CARNAVAL DE BONAPRISO
L’actualité a vu défiler la visite de la femme de Jean-Marie Le Pen, candidat d’extrême droite, qui a eu du mal à avoir ses cinq cents signataires, a été le premier à avoir le courage de fustiger la prépondérance de la domination juive en France ainsi que certaines activités des communautés nègres qui peuvent passer pour ”normales”. La question de fond étant que quand deux minorités se retrouvent, ce qui compte, c’est la situation dans laquelle ces minorités se retrouvent. Dans le système d’exclusion culturelle, structuré par ce que l’on peut désigner par le terme ”d’ethnocentrisme”, une thèse privilégiée de l’exclusion, qui justifie celle-ci à partir des expériences vécues d’ostracisme, mais dont l’amplification au Cameroun ne peut s’étendre que tant qu’il y aura un équilibre qualitatif comme quantitatif. Mais, il reste que la thèse de l’exclusion sur la base ethnique et politique ne semble être érigée en norme de validation pour la compétence politique. Comme, par exemple, les peuples de la Cité portuaire ou certaines autres élites se prévalent d’une minorité à la base, instrument dont on se sert pour savoir comment va le monde.
L’actualité de cette semaine, après ce que Mutations a eu à qualifier de ” bourde de la première Dame ” met en exergue la qualité de la fonction des conseillers en communication en même temps que la personnalité de cette même première dame consiste en ce fait qu’elle ait reçu un membre proche du principal parti d’extrême droite française!). Ces détracteurs défendent des valeurs dont on peut dire, qu’elles sont loin, bien loin d’être des valeurs de prestige, d’excellence et d’intelligence. Mais, dans le Cameroun actuel, où chacun essaye de se positionner à partir d’offres confuses et de paradigmes généralistes, on peut dire l’actualité de l’attaque contre le ”Malo maan”, est plutôt de bonne augure et de mauvaise guerre. Cette visite a suscité les polémiques habituelles qui, bien qu’incongrues s’inquiétaient sur le fait que la première dame qui, au fond, n’est pas le président de la République puisse recevoir qui elle veut. La presse, comme à son habitude, a instruit les directions à suivre. Elle a expliqué comment est-ce qu’il fallait faire pour communiquer sur les aspects sociaux d’une action qui vise à communiquer pour rendre la vie plus agréable.
Du coup, on peut s’interroger : toutes ces initiatives qui cherchent à tisser le lien social à partir d’activités diverses ont-elles, sur le plan sociologique, un sens unique ? Doit-on en faire le sujet de ces Regards hebdomadaires qui se proposent de prendre un fait comme expression d’un questionnement qui va plus loin que l’actualité immédiate ? Car l’alternance, les propositions de certains députés du Rdpc peuvent ne pas avoir de relations directes avec cette manifestation festive d’un village de la capitale économique entré dans la République, depuis au moins un siècle, mais qui n’arrive pas à contenir ses ”villageois”. C’est cette coexistence de formes dans la revendication ”citoyenne” qui a retenu l’attention de ces Regards. Un moment de l’actualité camerounaise qui s’intéresse à ce qui bouge dans le fond. Sur les disparités des formes du discours protestataire, sur les contenus de ce que la démocratie permet de faire émerger comme mode de contestation, et aussi sur les ambiguïtés de cette ” liberté d’expression”.
Le Carnaval de Bonapriso, ce petit village de Douala exprime un tout républicain sur la revendication de l’ancrage à un terroir qui est victime d’une expropriation consécutive des prétentions coloniales ? Il impose aux pouvoirs publics la réponse aux interpellations dont il est l’objet : que faire pour accompagner la construction de la République dont le levier principal, l’espace géographique reste la ville de Douala ? Quel sens cela a de parler d’une manifestation festive qui n’a qu’un impact relatif : elle se limite essentiellement à la capitale économique et, qui plus est, dans un quartier résidentiel que l’on appelle sans hésitation “ Bonapriso ”, là où dans la logique des langues africaines bantous, il aurait fallu écrire et dire : Bonapiiso ?
Pourquoi écrire un Regards sur un sujet d’apparence anodin, alors que des grandes questions de la Cité comme le Groupe des ”dix” qui veulent changer la Constitution font parler de l’alternance ? Parce que, tout simplement, lorsque des citoyens initient une action ; lorsque celle-ci semble être porteuse de sens sur les plans culturel et politique, il est difficile de se contenter de regarder sans essayer de comprendre le sens qui y est produit. Or, que signifie le fait que des élites du quartier urbain et cosmopolite de Douala, en même temps qu’entité villageoise des Njo-NJo, décident de réinventer les liens de sociabilité afin qu’une capitale qui se prétend républicaine, puisse survivre au village ? Quel besoin ont les populations de réaffirmer leur appartenance à un terroir, de dire à la face du monde ”Nous sommes tous de la même famille” et choisir une manifestation aussi lourde de sens que le carnaval, pour dire tout cela ? Le carnaval, ce rite né d’un besoin urgent de transgression, de rupture sociale, de dénonciation, au Brésil, il y a au moins deux siècles, a-t-il le même sens, la même fonction pour les initiateurs à Bonapiiso ? Le carnaval fut inspiré par les rituels africains au cours desquels, pour expier des fautes et rendre grâce aux Dieux, on imaginait des défilés avec masques et totems afin d’exorciser les “ mauvaises choses commises dans le temps”. Il avait comme fonction une volonté d’expiation, de transgression pour créer une rupture avec le train-train quotidien, et permettre aux sans voix, aux exclus, aux marginaux sécants de dire quelque chose à la société.
En choisissant comme mode de regroupement la forme de carnaval, il est évident que la chefferie de Bonapiiso avait besoin d’une revitalisation d’une reconnaissance ; mais si l’événement est relativement circonscrit dans la capitale économique, son expression et la revendication dont elle se réclame mérite que l’on s’arrête sur ces reîtres hebdomadaires. ? Il est vrai que les faits les plus spectaculaires sont parfois ici analysés, décortiqués ; mais peut-on s’arrêter là ? Événement aussi anodin qu’on puisse accuser la chroniqueuse que je suis d’un parti pris ethno centré. Mais force est d’observer tous ces évènements comme arguments dans la recherche d’une identité citoyenne qui semble se perdre dans les dédales de paradigmes qui apparaissent comme explications insolubles des réalités qu’ils ne contenaient pas. Construire, mais quoi ? Depuis quelques années, la ville de Douala s’essaye, à travers de nombreuses manifestations, à exister en essayant de reconstruire le lien social. Le carnaval a ce sens-là. Le premier espace républicain et citoyen, la capitale économique, est un champ d’expérimentation qui devrait intéresser la plupart des acteurs qui prétendent vouloir impulser quelque chose pour changer le Cameroun. En revenant au carnaval de Bonapiiso, on voit bien qu’une ville cosmopolitique, qui a grandi avec de nouvelles logiques, peut générer à la fois des sentiments d’appartenance en même temps que développer des discours ethnocentrés. C’est le processus reconstruction de la République. En dehors des contradictions que l’on peut relever lorsqu’un chef a besoin d’établir sa notabilité, la question de la socialisation, de la construction du lien social dans les quartiers phares qui accueillent une population cosmopolite est un enjeu pour l’avenir démocratique au Cameroun.
Source:Nouvelles Expressions, 2007
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