BONA SAWA

BONA SAWA

« Entre un Bamiléké et un serpent… »

AFRIQUE  Chronique du Gomboland

« Entre un Bamiléké et un serpent… »

 

mercredi 14 février 2007 par Moussa Ka

 

D'une conversation de bistrot interculturelle qui passe de la cordialité au racisme

 

 

Il est des scènes qui en disent long, trop long. Celle-ci se passe en début de soirée à la terrasse d'un bar quelconque du quartier du stade Omnisports de Yaoundé, où l'émissaire de Bakchich déguste une Castel glacée et les colonnes sucrées de son journal préféré (Cameroon Tribune, pour ne pas le citer).

 

À une table de là, un couple de jeunes Français bavardent joyeusement avec deux Camerounais, qui ont tout l'air d'être deux frères. Plus tout à fait touristes mais pas encore cramés par le soleil, les tourtereaux expatriés complètent entre amis leurs connaissances du pays, estimant sans doute que le Petit Futé – le livre de chevet des touristes de passage – n'a pas épuisé le sujet. Preuve que les deux Blancs travaillent ardemment à leur intégration, ce sont eux qui font les présentations lorsque se pointe un troisième autochtone. Tiré à quatre épingles, le nouveau desserre la cravate, et serre la pince de ses amis d'outre-mer et de ses compatriotes inconnus. « Bonsoir ! C'est comment ? ». Et le voilà qui se fond dans l'amicale discussion. -Ça parle maintenant de foot et de politique, de Sarko et de visas, de « nous » et de « vous ». Bref, de tout et de rien. C'est banal, ça trinque et ça plaisante.

 

 

Mais voilà qu'au moment où l'on allait se rendormir dans les pages douillettes de Cameroon Tribune, la discussion d'à-côté prend une autre tournure. Il est maintenant question d'« ethnies », sujet glissant s'il en est dans un pays qui en compte, dit-on, deux cent cinquante. Les deux frérots s'agitent et rigolent grassement. « Les Bamiléké [1] ? Ah, ah ! On les connaît, les Bamiléké ! Des riches, des voleurs ! Ils ne vous donneront jamais rien… Rien ! Ils gardent tout pour eux ! Des chiches qui restent entre eux ! ». Et les deux braillards d'enchaîner les poncifs et les légendes pour rhabiller les Bamiléké, en bloc. « Des menteurs ! Des tueurs, même ! Ils ensorcellent les gens ces gars-là, c'est comme ça qu'ils s'enrichissent ! Vous connaissez le famla [2] ?… » Et blablabla. Les deux Français lancent des regards inquiets au cravaté. Pas besoin d'être sorcier pour comprendre qu'il est, lui-même, Bamiléké.

 

Mais les deux lourdauds, aveuglés de certitudes, poursuivent leur leçon tribale sans saisir la situation. « Ah, ah ! Les Bamiléké ? On les connaît ! Ils sont gros ! Ils sont sales ! Ils s'habillent comme des pauvres ? Mais ils cachent leur fortune !! Des chiches, qu'on vous dit ! Ils ne montrent jamais qu'ils ont de l'argent ! » Imparable. Et les « exemples » pleuvent, comme autant de preuves et de passe-droit pour généraliser [3]

 

« Un Bamiléké Président ? Moi, je vous dis, y aura la guerre dans ce pays ! Et ils vont souffrir, les Bamiléké ! Je vous dis : ils vous nous sentir ! », jure un des frères. Et l'autre de compléter : « Si j'ai en face de moi un serpent et un Bamiléké, je tue d'abord le Bamiléké… Je tue d'abord le Bamiléké ! » Tandis que le Bamiléké desserre un peu plus sa cravate et décroche un sourire en serrant les dents, le couple français réclame instamment l'addition, confus d'avoir aventuré ses « amis » hors des exotiques sentiers battus par le Petit Futé…

 

[1] « Si le Cameroun présente une grande diversité de paysages, c'est également une riche mosaïque de peuples, avec près de 250 ethnies différentes. (…) on compte environ 700.000 Bamilékés, très influents dans les milieux d'affaires notamment », informe le Petit Futé Cameroun Country Guide, 3e édition, p. 56.

 

[2] « Fratrie de sorciers dont les membres vendraient au loin leurs proches, transformés en esclaves zombies », selon la définition de Dominique Malaquais, Architecture, pouvoir et dissidence au Cameroun, Karthala, 2002, p. 362.

 

[3] Pour goûter à des « théories » de cet acabit, on peut par exemple lire les écrits du « philosophe » Hubert Mono Ndjana, professeur à l'Université de Yaoundé I et président – contesté – de la Société Civile de la Littérature et des Arts Dramatiques (SOCILADRA). Cf : Dieudonné Zognong, « La question Bamiléké pendant l'ouverture démocratique au Cameroun : retour d'un débat occulté » sur le site internet de l'Unesco (www.unesco.org).

 

Source: http://www.bakchich.info/article767.html



23/03/2007
13 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 472 autres membres