BONA SAWA

BONA SAWA

FAILLITE DU GOUVERNEMENT:LE PROBLEME, C'EST LE PRINCE

Faillite du gouvernement: Le problème, c'est le prince

 

 

DOUALA - 25 SEPT. 2006

© Ambroise EBONDA

 

Il ne suffit pas de changer des ministres pour produire des résultats. Le régime souffre des méthodes de son chef.

 

Place aux revenants. Le gouvernement formé vendredi dernier, marque le retour aux affaires de personnalités que l'on croyait politiquement mortes et enterrées. L'ancien secrétaire général du gouvernement, Jean Kuete, revient au gouvernement après 18 ans d'exil forcé au cœur des institutions communautaires de l'Udeac et de la Cemac. L'ancien ministre des Travaux publics Jean-Baptiste Bokam, que la rumeur avait un temps envoyé à Kondengui, dans la fourgonnette des détourneurs de deniers publics, est le nouveau secrétaire d'Etat à la Défense ; c'est-à-dire le patron de la gendarmerie qui mène en général l'essentiel des enquêtes ouvertes contre les détourneurs. C'est donc lui qui gérera désormais la prison politique qui est logée au Sed. Il y a également le philosophe Ebénézer Njoh Mouelle, viré sans ménagement du secrétariat général du Rdpc il y a une décennie, et longtemps en déphasage avec les pratiques du régime, est désormais appelé à gérer la communication du gouvernement.

 

Pourquoi ces hommes ont-ils étés écartés des affaires hier et qu'est-ce qui justifie qu'on les y ramène aujourd'hui ? Les décrets du prince d'Etoudi ont parfois des raisons que la raison du commun des Camerounais ne saurait pénétrer. Tout aussi illisible, est la vision du prince. Son recours actuel à des revenants est-il le signe d'un épuisement du réservoir dans lequel il allait pêcher de nouvelles têtes ? Ou bien marque-t-il la renonciation au rajeunissement des élites, amorcé il y a une décennie ? Dans la forêt équatoriale où Paul Biya a fait ses premiers pas, on dit souvent que quand un chasseur revient deux fois sur le même arbre, c'est qu'il s'est trompé de chemin.

 

Instabilité gouvernementale

 

On se souviendra encore de cette querelle entre Georges Ngango et François Sengat Kuoh. Au début de la décennie 80, ces deux idéologues du régime du Renouveau s'affrontaient à coups de petites phrases sur la qualité des hommes nécessaires au nouveau régime. Le premier soutenait qu' " on ne met pas le vin nouveau dans de vieilles outres ". Ce à quoi le second répondait que " le Renouveau ne veut pas forcément dire des hommes nouveaux ". Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, entraînant au passage de nombreux gouvernements et de nombreux hommes. De Ferdinand Koungou Edima, à Yves Bello Mbelle, entre les " vieilles outres " et les " hommes nouveaux ", Paul Biya a créé quelque 230 ministres en 24 ans de règne. A titre de comparaison, son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, en 24 ans de pouvoir, n'a utilisé que 133 ministres, alors même qu'entre 1961 et 1972, fédéralisme oblige, le président Ahidjo devait former trois gouvernements à la fois : le gouvernement fédéral et les deux gouvernements fédérés ; ce qui aurait pu justifier qu'il nomme beaucoup de ministres. Et pourtant, avec désormais le même temps de gestion du Cameroun, Paul Biya a nommé près de 100 ministres de plus que son prédécesseur. Ces chiffres sont révélateurs de l'instabilité gouvernementale chronique sous Paul Biya.

 

Davantage, l'amalgame entre les " vieilles outres " et les " hommes nouveaux " n'a pas produit de miracle. Comme dirait Titus Edzoa, ancien ministre et éminence grise du prince : " le bilan de 24 ans de Renouveau est dramatiquement désolant ". Les acquis économiques et sociaux de l'ère Ahidjo ont été dilapidés. Victor Ayissi Mvodo, baron du régime Ahidjo constatait en 1997 que le Cameroun est aujourd'hui meurtri et épuisé d'efforts et de sacrifices mal utilisés par un pouvoir résigné à accompagner passivement l'appauvrissement continu du pays dans un monde qui s'enrichit.

 

L'espérance de vie des Camerounais est descendue à 59 ans. Le Cameroun compte en moyenne un médecin pour 10 083 habitants, alors que l'Organisation mondiale de la santé (Oms) recommande 1 médecin pour 1000 habitants. Si la santé est au sol, l'école est descendue au sous-sol. Plus de 2 millions de Camerounais de 15 ans sont analphabètes. L'éducation nationale accusait en 2002 un déficit de 53 651 enseignants et de 11 612 salles de classe. Pour résorber ce déficit, il faudrait construire 2000 salles de classes et recruter 3000 enseignants chaque année. Pour ne pas parler du délabrement des villes et des infrastructures, et du naufrage des grands paquebots de l'économie camerounaise que furent la Camair, Camship, la Régifercam, la Sonel, la Sotuc, la Snec, etc, liquidées ou au mieux, privatisées.

 

Faillite des élites ?

 

Qu'est-ce qui peut justifier un tel échec cuisant ? Dans son livre intitulé " Un parcours vital ", Dieudonné Oyono, aujourd'hui en charge du Programme national de gouvernance (Png), avance l'hypothèse de " la faillite des élites camerounaises ". " Une élite pourtant bien formée, écrit-il, mais qui, dans certains cas, s'est perdue dramatiquement dans la superstition. Aujourd'hui, une partie de l'élite croit davantage à l'influence des sectes, des confréries et des voyants, pour régler les problèmes du pays, au détriment des critères de rationalité, de compétence, de travail et de responsabilité. La croyance dominante aujourd'hui est que l'appartenance à une secte, à une confrérie ou la consultation d'un voyant seraient la voie royale pour faire partie de l'élite dirigeante, et que ces cercles garantiraient l'impunité à leurs membres. On les crédite d'une influence déterminante sur les grandes décisions, particulièrement en matière de promotions et de nominations (…) Ainsi, les nominations, les places et les honneurs s'obtiendraient par la servilité, la flagornerie, les intrigues, les calomnies de toutes sortes et le mensonge. L'enthousiasme de la méritocratie a laissé place au malaise de la médiocrité. "

 

Davantage, selon Dieudonné Oyono, " sur le plan de la conscience morale, nécessaire pour la promotion d'un Etat au service de tous, l'élite camerounaise, installée au cœur de la puissance publique, ne semble pas être un modèle aux yeux de la société. " Mais, l'échec dramatiquement désolant du Renouveau n'est-il que faillite des élites ? La gestion des hommes n'est-elle pas aussi en cause ? Héritier de la génération des pères de l'indépendance (les Ahidjo, Foncha, Muna, Onana Awana, Charles Assa'ale), Paul Biya a tout essayé. Il a enterré la génération des grands frères (les Eboua, Ayissi Mvodo, Sengat Kuoh), broyé la génération des camarades de séminaire (les Ngango, Mataga, Tonye Mbog), mis hors-jeu la génération des petits frères (les Hayatou, Akame Mfoumou, Joseph Owona, Titus Edzoa) et éprouvé la génération des fils (les Atangana Mebara, Abah Abah, Olanguena). Est-il possible que toutes ces générations n'aient été que de mauvais crus ? Alors, quand en 24 ans de pouvoir, un chef d'Etat a épuisé quatre générations différentes de politiciens, sans obtenir de résultat, ne faudrait-il pas interroger ses méthodes de gouvernement ? Comment par exemple le prince nomme-t-il ses ministres ? Surtout, comment utilise-t-il les ministres qu'il nomme ?

 

Une sélection douteuse

 

La nomination des ministres est discrétionnaire, c'est vrai. Mais, la pratique de ces nominations ailleurs, permet de savoir qu'en principe, n'importe qui ne peut pas devenir ministre. En général, on est nommé ministre parce qu'on a fait montre de qualités ou de capacités à travailler au bien – être des populations dans un secteur donné de l'Etat. Cette charge est confiée à des techniciens venus de la haute administration ou à des hommes politiques élus du peuple, en raison de leur connaissance du secteur en question ou de leurs projets pour ce secteur. En France, le général de Gaulle choisissait ses ministres en priorité parmi les députés. Il disait alors que " l'Assemblée nationale est l'école normale du gouvernement ". Apparemment, sous le Renouveau, les candidats à la charge doivent d'abord être contrôlables. Ils ne doivent rien avoir et tout devoir au régime. Pour prospérer sous le Renouveau, il ne faut avoir ni fief, ni blason. Ce régime a horreur des gens qui manifestent une capacité autonome de légitimation et les tient à l'écart. C'est pourquoi, des 62 ministres et assimilés actuels, seuls 8 ont un jour chauffé les bancs de l'Assemblée nationale comme députés (Kodock, Bello, Grégoire Owona, Charles Salé, Njoh Mouelle, Dakole, Hélé Pierre, Hamadou Moustapha). Et encore, seuls deux, (Augustin Kodock et Charles Sale) sont des élus de l'actuelle législature. Quid des 60 autres ministres et assimilés ? Ils sont devenus des hommes politiques par décrets.

 

François Mitterrand aimait dire qu' " un homme politique qui n'est pas passé par le suffrage universel n'en est pas un ". Au Cameroun, un homme politique qui passe par le suffrage universel n'en est plus un. Le décret reste la voie royale d'accession au pouvoir et de promotion politique. Or, la différence entre un élu et un promu par décret est tout de même fondamentale. L'élu sait qu'il a des comptes à rendre à ceux qui l'ont élu et que son avenir politique en dépend. Il travaille en conséquence. Le produit du décret ne rend compte qu'à celui qui l'a nommé et dépend entièrement de lui. Les nominations sous le Renouveau obéissent aussi à la politique dite d'équilibre régional. Un ministre est avant tout le représentant de son département ou de son village au gouvernement. Un Edzoa remplacera toujours un Mbarga, un Kuete remplacera un Donfack, un Mouelle un Moukoko, etc. De la sorte, le prince s'assure qu'il ne sera fâché avec personne. Quand dans un village on pleure dans une maison et on fête dans une autre en face, il n'y a pas de révolte possible. Dans ces conditions, tout le monde peut devenir ministre et il est même arrivé que n'importe qui devienne ministre.

 

Merco, gombo, dodo

 

Justement, pourquoi devient-on ministre aujourd'hui ? Pas forcément pour mener sa politique dans un ministère qu'on découvre le jour où on y prend ses fonctions. William Eteki Mboumoua, qui avait pris sa fonction de ministre des Affaires étrangères trop au sérieux, fut limogé sans façon du gouvernement. Georges Ngango fut lui aussi remercié à cause d'une réforme hardie de l'Education nationale. Seul Titus Edzoa est parvenu à conduire une réforme jusqu'au bout. Normal, il s'agissait de museler l'université dont les étudiants étaient devenus une menace politique. D'autres ministres comme Garga Haman Adji ont vu leurs réformes bloquées ou dénaturées à la présidence de la République par l'armée des conseillers techniques du prince qui rêvent tous d'un maroquin ministériel. D'autres ministres encore quittent le gouvernement sans avoir rencontré le président une seule fois. Paul Biya est connu pour ne pas tenir souvent de conseils de ministres. En 24 ans de pouvoir, il a tenu moins de 70 conseils de ministres en tout. Soit 2,9 conseils de ministres par an. Une belle moyenne, quand on sait que la plupart de ses homologues africains en tiennent une cinquantaine chaque année.

 

Le président de la République qui ne s'émeut d'ailleurs pas outre mesure de ce bilan peu élogieux le trouve tout à fait normal et l'explique. Dans " Un nouvel élan ", son livre d'entretiens avec le journaliste Charles Ndongo, Paul Biya déclare que " le rôle du chef de l'Etat (…) est de définir les grandes orientations du pays et de veiller à ce qu'elles soient mises en œuvre. Le suivi quotidien de l'action gouvernementale est l'affaire du Premier ministre, qui tient des conseils de cabinet. Je l'ai été pendant plusieurs années. Je sais ce qu'il en est ". C'est certainement parce que Jacques Chirac ne définit pas la politique du gouvernement français et qu'il n'a jamais été Premier ministre, qu'il réunit un conseil de ministres chaque mercredi. Mais, de quelle autorité dispose le Premier ministre dans un gouvernement dont il n'est que le premier des ministres ?

 

Tel que ça fonctionne sous le Renouveau, nombre de ministres ont compris qu'ils ne sont pas nommés pour travailler, mais pour manger, nourrir leurs villages et assurer la réélection du prince. C'est merco, gombo, dodo. Pour certains comme Nana Sinkam qui ont refusé leur nomination, devenir ministre n'est plus une consécration, mais une punition. Un cadre qui nourrit depuis quelques années l'ambition de devenir ministre et qui ne figure toujours pas dans le gouvernement de vendredi dernier a ce commentaire : " peut-être que je n'ai pas encore l'incompétence nécessaire pour devenir ministre sous le Renouveau ". Un autre lui, se réjouit de n'en être pas, parce que, " ici, on entre au gouvernement OK et on en sort KO ". Heureusement, on peut toujours y revenir une décennie après en être parti. 

 

Messager,2006-09-28



01/10/2006
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 472 autres membres